La magie du ficus : souvenirs du Sénégal, 1966-1988

Recension rédigée par Yves Boulvert


 

Dans cet ouvrage, notre consœur, Antoinette Maux-Robert, née Maux, relate ses souvenirs de vingt-deux années à Dakar au Sénégal, entre 1966 et 1988. Ayant passé une partie de sa prime jeunesse en Chine, dont son père était considéré comme un expert en économie, elle ne fut pas dépaysée par l’expatriation, même si « s’expatrier, c’est se lancer dans l’inconnu ». Épouse d’un cadre supérieur dans l’industrie, en lien avec une famille nombreuse de part et d’autre, ainsi qu’avec de multiples amis et relations : professionnelles, diplomatiques, militaires et religieuses, elle n’eut pas à souffrir de l’isolement.

Dans sa belle propriété dakaroise, à l’ombre d’un ficus, « l’âme du jardin, mon génie tutélaire », elle sait chaque samedi recevoir le « Tout-Dakar », s’instruisant par ce biais sur des sujets très variés.  Ainsi celui de « Jeunes filles en péril » se retrouvant lâchées seules ; de même, celui des « Jeunes gens aventureux », globe-trotters ou effectuant leur service en coopération. Ceux-ci pouvaient être pris de « coups de folie passagère » : « le quart d’heure colonial ».

Certains voyageurs plus exceptionnels furent emmenés en « expéditions » (en « excursions » dirions-nous plutôt) : Saint -Louis, le Djoudj, le Sine-Saloum, le Niokolo-Koba ou le pays Dogon. Trop souvent encore, l’on n’accrochait pas de ceinture de sécurité dans les véhicules, ou l’on se lançait sans expérience sur « la tôle ondulée ». Certains voyages furent tragiques. Son époux se retrouva paraplégique à 31 ans et plus tard, elle perdit son fils de 24 ans dans un accident de la route.

Apparemment privilégiée par sa position sociale à Dakar, l’auteur put pratiquer de multiples sports : natation, voile, tennis, hippisme, golf ... tout en se cultivant : soirées théâtrales ou musicales, sans oublier la lecture. Femme au foyer ayant dû abandonner à vingt ans ses études de langues pour se marier, elle sut s’occuper. Même s’il « n’était pas évident de se lier avec des Sénégalaises », elle créa le « thé des dames sénégalaises ». Après avoir organisé le Noël des enfants malades à l’hôpital, elle participa à la création d’une Association ayant pour objectif d’apporter un soutien scolaire aux enfants hospitalisés et en devint la Secrétaire générale : « La plus grande aventure de mes années dakaroises ».

Ce récit est une curiosité car, dans leurs souvenirs, les expatriés traitent essentiellement de leurs expériences professionnelles, ainsi que de leurs expéditions en pleine brousse, jalonnées de rencontres imprévues ou de divers incidents de parcours, parfois comiques, mais aussi, hélas, tragiques. Rappelons qu’il y a cinquante Afriques et que le Sénégal n’en est pas toujours représentatif. Dans ce récit personnel, rares sont les allusions à l’évolution politique de ce pays ; relevons cependant vers 1990, une phrase inquiétante, voire prémonitoire : « Les jeunes bacheliers ... n’avaient plus qu’une idée en tête : aller étudier en Europe ou aux USA, pour échapper à l’Université de Dakar, dont le niveau ne cessait de baisser » !

C’est donc une tranche de vie personnelle que ce livre relate dans une Afrique vue selon un prisme particulier : celui des expatriés considérés comme favorisés dans des pays émergents mais aussi témoins d’une époque, d’un monde en évolution. Antoinette Maux-Robert marquée par de douloureuses épreuves personnelles, a su se mettre au service d’autrui et donner un vrai sens humain à sa vie dakaroise, grâce à son charisme personnel et à « la magie du ficus ».