Le théâtre « ache lhamo » : jeux et enjeux d'une tradition tibétaine

Recension rédigée par Jean Nemo


Comme on l’aura deviné à la lecture du titre, au nom de l’éditeur, à celui de la collection, à l’épaisseur du livre (940 pages abondamment illustrées) cet ouvrage ne s’adresse certainement pas au lecteur pressé, ni même à celui qui, à plus ou moins juste titre, s’estime raisonnablement cultivé. Car il relève d’une sorte de hobby, soit dit sans la moindre intention péjorative. Ce théâtre ache lhamo revêt des aspects si particuliers que son évocation ressemble à celle des collectionneurs de moulins à café des temps de jadis ou des miniatures de voitures. L’auteure elle-même le reconnaît : elle a passé vingt ans de sa vie à entrer dans ce théâtre exotique, à rassembler les témoignages, à s’y plonger de l’intérieur, ce depuis des voyages au loin qui aboutirent à une thèse de doctorat éponyme en 2004.

Il est vrai qu’à la différence des collectionneurs de théière, l’auteure a voyagé dans la classe supérieure, dotée de bourses de voyage et d’études, de contacts enrichissants avec des langues et institutions lointaines, souvent tibétaines. Et que son exploration d’un théâtre d’hier, mais aussi d’aujourd’hui, vivant et évolutif, relève à la fois des beaux-arts, de l’ethnographie et plus généralement de l’anthropologie. 

Professeure à l’Université Laval mais aussi en relation avec l’université française, belge, Harvard, elle dit s’intéresser depuis des années à une double approche : une appréhension anthropologique des pratiques artistiques et une réflexion sur les dynamiques culturelles à l’œuvre, ici dans un contexte lointain.

Son ouvrage se divise en trois parties, précédées d’un prologue dans lequel l’auteure décrit ses objectifs et sa méthodologie.

La première partie est consacrée à l’époque « prémoderne » du théâtre lhamosa, soit le cadre culturel d’origine dans une perspective remontant aux origines et à la place du spectacle dans la civilisation tibétaine, le ou les répertoires.

La deuxième partie décrit l’ancrage sociologique actuel du lhamo, soit les différentes classes sociales impliquées (troupes et acteurs naturellement, commanditaires, moines ou « seigneurs »). On regrettera peut-être que dans cette partie, les données politiques ne soient qu’évoquées rapidement, il ne serait pas exclu que ce théâtre représente aujourd’hui une certaine forme de résistance culturelle – opinion personnelle sans doute trop rapide et qui n’engage que le recenseur.

Dans une troisième partie, on entre dans le cénacle proprement dit : celui de l’art et les techniques des savoirs des acteurs sur scène, la mise en place de cette dernière, ce que l’ensemble veut communiquer à un public sans doute inconditionnel mais exigeant.

L’appareil critique est d’excellente qualité, les références bibliographiques et culturelles nombreuses, les illustrations nombreuses et parlantes, la cartographie également.

On reste finalement partagé sur le jugement – s’il était nécessaire – à porter sur l’ouvrage. Il ne peut se lire que sur une table bien dégagée, des signets sous la main et un carnet de notes à proximité. Mais cela ne concerne que l’aspect éditorial, le lecteur intéressé pouvant se demander s’il n’était pas possible de ramasser l’ouvrage dans une forme plus maniable.

Cette réserve éditoriale ne touche évidemment pas le fond, celui-ci étant solide. La démarche de la longue enquête anthropologique est convaincante, ses résultats proposés au lecteur de façon claire, les interprétations à lui soumises appellent certes à réflexion mais n’est-ce pas l’objet de tout compte-rendu d’enquête ?