Histoire de l'immigration algérienne en France

Recension rédigée par Jean Nemo


            Sans être du format d’un « Que sais-je ? » (aucune note péjorative pour les indéracinables et pluri décennaux « Que sais-je ? » dans cette appréciation), ce relativement mince ouvrage relève de la synthèse plus que d’une recherche aboutie qui apporterait des éléments nouveaux de connaissance à une immigration qui fut de longue durée et revêtit au cours des décennies bien des aspects. Il est cependant complexe et apparemment complet, il permettra au lecteur d’éviter des clichés simplificateurs, voire simplistes. Néanmoins, recherche il y a, en raison du nombre des ouvrages ou articles consultés et cités et du compte-rendu qui en est fait ici de façon compréhensible et convaincante.

            L’auteur s’est spécialisé notamment dans l’histoire récente des immigrés algériens (ce terme dans l’ouvrage comme dans la présente note de lecture désigne et désignera les Algériens non issus de l’immigration d’origine européenne ou, comme on les appelait non sans une certaine connotation péjorative, dans le courant des années 1950, les « Nord-Afs »).

            Il a notamment publié en 2011 La police parisienne et les Algériens : 1945-1962, ouvrage sans concession et qui parle au rédacteur de la présente : il donnait des cours d’alphabétisation à nombre de « Nord-Afs » illettrés, dans des quartiers périphériques de la capitale. Il eut l’occasion d’assister à des descentes musclées et plutôt brutales de la police. Il est vrai que celles du FLN ou du MNA ne l’étaient pas moins et souvent incompréhensibles dans leurs enjeux et méthodes.

            Bien souvent le patron du bistrot où se déroulaient les cours d’alphabétisation s’arrangeait pour exfiltrer à temps et discrètement les quelques étudiants parisiens qui pensaient avoir des devoirs à remplir auprès de visiblement défavorisés et souvent miséreux compatriotes (car nous étions à l’époque de « la France de Dunkerque à Tamanrasset »).

            L’ouvrage retrace dans la durée longue l’histoire de migrations/immigrations aux caractéristiques rares, qui n’ont guère échappé, au fil des décennies, aux stéréotypes.

            Mais commençons par le début, i.e. l’introduction : dès le second paragraphe, une entrée inattendue, celle du football : « Une immigration singulière, l’exemple du football ». Car du temps d’avant l’indépendance, pas de joueur d’origine musulmane dans les équipes de France.     Après, un seul, baptisé « lefootballeur harki »en raison de sa filiation, bien avant le très célèbre Zinedine Zidane, en 1994. Mais de l’autre côté, s’était déjà illustrée la « glorieuse équipe du FLN ». L’un des deux seuls matches franco algériens de coupe du monde, celui de 2001, fut marqué d’incidents, par exemple les sifflets lors de la Marseillaise. D’où l’on conclut, dès l’introduction, du caractère singulier des immigrations dites algériennes, faites à la fois d’exclusions, de préjugés simplificateurs et des variantes significatives selon les décennies ou, comme le dit l’auteur, « l’épaisseur de son inscription temporelle ».

            L’ouvrage se divise par périodes :

            Précoloniales (d’un pays relativement vide vers l’Égypte, le Proche-Orient et la Mecque),

            Coloniales ensuite et avant 1910, elles-mêmes surveillées dès le XIXe siècle par les autorités locales, avec cependant le rôle incontournable dès avant 1914, notamment à partir du pays kabyle, des structures claniques traditionnelles qui « envoyaient » certains faire fortune en Europe pour le compte de la communauté. Et déjà en partie provoquées par les stratégies d’implantations souvent peu scrupuleuses de colons européens.

            Coloniales toujours, entre 1910 et 1930, en raison notamment de l’effort de guerre en Métropole nécessitant une main d’œuvre à tout faire mais interprétées par les Français de France et par leurs communautés d’origine comme une immigration de « déracinés », sidis peu recommandables.

            Coloniales encore, entre 1930 et 1960, l’émigration de « musulmans »qui s’organisent en tant que tels et sont plus ou moins reconnus également en tant que tels par les autorités métropolitaines (carrés musulmans dans les cimetières, mosquées dont au moins une, celle célèbre de Paris et initiée après de nombreuses tentatives par Paul Bourdarie).

            Coloniales enfin, de 1920 à 1962, mais une immigration qui se politise et au sein de laquelle apparaissent les premières manifestations de ce qui deviendra à partir de 1954 le nationalisme algérien.

            L’approche analytique de l’ouvrage n’est pas seulement de type chronologique : elle traite également de caractéristiques sociologiques ou comment des communautés algériennes (juives ou musulmanes) se sont organisées en France, la place des jeunes, les stratégies de regroupement familial, la participation au syndicalisme français et aux grèves, notamment celles de 1968, en France, ainsi que les stratégies individuelles de ceux qui ont « réussi »…

            L’ouvrage se conclut par des constatations telles que les nombreuses tentatives en France de contrôle d’une population relativement, et pour de multiples raisons, insaisissable, souvent de « bi appartenance », et sauf diversification récente, en majorité autrefois et aujourd’hui orientée vers la France.

            À lire mais à discuter, tels sont les ouvrages, dont celui-ci, qui incitent le lecteur à s’y plonger. Ou comment des liens anciens perdurent en s’adaptant à des logiques évolutives et reproduisent ; certes pas à l’identique, des phénomènes migratoires complexes, mal interprétés ou mal compris, trop souvent fantasmés au mauvais sens du terme par le pays d’immigration.