La vie quotidienne au centre de l'Afrique à la fin du XIXe siècle

Recension rédigée par Jean Nemo


            Cet ouvrage ne relève pas de l’histoire au sens classique du mot, mais s’en inspire sous forme d’une série de reportages largement imaginés, basés sur ladite histoire. C’est-à-dire que bien des noms de pays ou de personnes sont exacts. Mais le lecteur qui chercherait des éléments ou des connaissances relevant de l’histoire proprement dite n’y apprendrait pas grand-chose : ni lieux ni dates ni personnages historiques ayant contribué à l’histoire, en revanche bien des noms de personnes (explorateurs, missionnaires, médecins, commerçants, notables ou souverains « indigènes »), bien des noms de lieux ou de régions, connus ou encore inconnus dans la seconde moitié du XIXe siècle. 

L’ouvrage se développe en trois parties, « La colonisation en marche », « La marque de l’homme », « Le système africain ». Elles vont se développer en une série de ce que l’on pourrait intituler de courtes monographies.

Première partie : le départ d’Europe (celui des commerçants, des militaires, des missionnaires, des explorateurs…).puis les premiers contacts avec le sol africain, le petit train de Matadi, la pirogue ou la marche à pied, les difficultés de ravitaillement en route ou arrivé à destination. Trois illustrations concluent cette première partie, sous forme de courtes nouvelles où le narrateur s’exprime en disant « nous avons fait ceci ou cela » : la journée en expédition, l’expédition punitive (celle-ci sans fards et brutale), l’épouse africaine (délicat euphémisme).

La seconde partie traite des « vins » où comment les Blancs tentent avec succès de ne pas rompre avec leurs habitudes de métropole…Elle traite aussi de l’appropriation par les Blancs (officiels et militaires surtout) du tam-tam africain, auquel se joint bientôt la cloche des missionnaires. Elle traite encore de l’appropriation par les Africains notables de tout ou partie des vêtements européens, participant ainsi au refoulement dans la sauvagerie des noirs tout nus…qui sont pourtant des hommes comme les autres. Là encore, trois illustrations : une journée à la mission, une journée chez le sultan, confirmé dans son rôle par le colonisateur et qui ne lui est donc pas hostile, enfin l’épouse africaine : celle qui suit son tirailleur ou porteur de mari, celle aussi, temporaire, du Blanc ou celles offertes par des notables africains.

Dans la troisième partie, outre une rapide description des diverses sociétés africaines dans leur milieu naturel (chasse, maladies, conflits…), des excès des colons ou de l’administration, des nouveautés dans les échanges, on dispose d’informations sur les milieux africains. Tels que modifiés par les contacts avec les divers milieux coloniaux (missionnaires, administration, armée, commerçants, planteurs concessionnaires). Comme dans a première partie, trois illustrations : une journée au village, tantôt active ou endormie ; une journée à la factorerie, lieu d’implantation des commerçants européens et pas seulement français, pas forcément toujours en sécurité en raison d’environnements africains parfois hostiles ; enfin une journée chez Rafaï, sultan islamisé mais d’un islam autorisant quelques libertés telles la consommation d’alcool, régnant à partir d’une zeriba au centre d’un village aux artères bien tracées, gérant ses sujets de façon autoritaire. Son fils Ethman et successeur désigné parle couramment le français et souhaite pouvoir un jour connaître la mer et aller en France. Ce titre de « sultan » avait été effectivement attribué à des dynasties de conquérants par les agents de l’État libre (ou indépendant) du Congo, à l’époque où Léopold II y régnait, avant de le remettre à la Belgique. Il est resté longtemps en vigueur en Oubangui-Chari et au nord Cameroun, même après les Indépendances (des « lamidats » qui jouissaient de certaines prérogatives d’autonomie).

Il s’agit donc, dans cet ouvrage, d’une « vie quotidienne » vraisemblable, vivante et animée. Comme il a été dit plus haut, l’histoire ne sert que d’arrière-plan. Si le lecteur accepte de jouer le jeu – il aurait tort de ne pas le faire – il le lira avec intérêt et souvent amusement. Il y découvrira autrement qu’à travers un roman ou des nouvelles les péripéties parfois tragiques, plus souvent ironiques, de la rencontre entre futurs colonisés et futurs agents de la colonisation. On retiendra ces quelques mots qui commencent et terminent la très brève conclusion : « Ce qu’ont vécu les explorateurs, les premiers militaires et administratifs coloniaux, les premiers colons est une épreuve initiatique dans la mesure où ces hommes sont placés dans une situation exceptionnelle, avec une mission précise et sans avoir les moyens suffisants pour la remplir… » Et, pour la fin : « Que ces pages témoignent des situations si diverses et opposées qu’entraîne la rencontre de deux mondes, qui somme toutes restent la rencontre de l’autre, de la vie ». Propos généreux qui appelle, s’il était nécessaire, à ouvrir l’ouvrage avec intérêt et bienveillance, a priori. Mais le lecteur, au-delà du parti pris intelligent de sa construction, y trouvera son compte.

Et si l’on peut se permettre des souvenirs personnels, pour qui a parcouru dans les années 1960 les mêmes régions, bien des notations à propos de la « vie quotidienne » des années 1880-1890 pouvaient encore être faites, au moins dans les régions reculées où l’on n’avait de choix que de circuler à pied, à cheval ou en délicat équilibre dans une mauvaise pirogue, accompagné par deux ou trois porteurs généreusement réquisitionnés par le chef africain voisin.

Bien entendu, dans un tel ouvrage, pas d’appareil critique et fort peu de notes. On relèvera un certain nombre de coquilles et on regrettera qu’outre la longue liste des Français qui jouèrent un rôle de militaires, d’administrateurs, de missionnaires et autres commerçants ou explorateurs ou aventuriers ne figure aucun Africain. Mais là comme ailleurs, les uns sont bien connus à travers leurs écrits ou ce qui a été écrit à leur sujet, les autres n’ont pas d’archives sinon peu accessibles car essentiellement orales...

Mais que ces remarques vénielles ne détournent pas de lire le lecteur curieux d’exotisme ancien qui exista fort bien dans la réalité, les innombrables publications de l’époque le démontrent fort bien…                                                                                                      



          
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