Vergennes : la gloire de Louis XVI

Recension rédigée par Jean de La Guérivière


 

Le bandeau « Prix de la Biographie de l’Académie française 2017 » entoure la couverture de ce livre : un beau portrait du ministre par le peintre Gustav Lundberg. Sous une apparence physique très Ancien Régime, le modèle fut l’artisan d’une politique résolument moderne dont l’auteur s’attache à démontrer qu’elle aurait pu faire du règne de Louis XVI un règne glorieux, une « politique étrangère d’avant-garde qui, sans la Révolution, aurait pu inventer un nouvel ordre international ».

L’ambassadeur Bernard de Montferrand, ancien directeur de cabinet de Michel Aurillac au ministère de la Coopération, ancien conseiller pour les affaires diplomatiques du Premier ministre Édouard Balladur, est aussi l’actuel président de la Société des Cincinnati de France.

Dans ce livre très dense, qui couvre tous les aspects de la diplomatie française au XVIIIesiècle, on l’attend donc en particulier sur le soutien français aux insurgés américains.

Quel paradoxe ! Vergennes, partisan de l’absolutisme royal en France, aide des républicains aux Amériques. « Beaumarchais, soutien le plus brillant de la politique de Vergennes devient sur le plan intérieur le critique le plus cinglant de la monarchie. » Au nom de l’équilibre des forces entre puissances mondiales, l’aide aux insurgés commence en 1776 avec la fourniture d’un million de livres, par l’intermédiaire du futur auteur du Mariage de Figaro. « Le roi donne des instructions écrites à Beaumarchais. Celui-ci les gardera dans unmédaillon qu’il porte autour du cou comme un talisman… Un mélange de théâtre et de roman policier où l’on n’attend guère Louis XVI et Vergennes ».

En France, on appelait « officiers américains » ceux qui participèrent aux opérations navales ou terrestres. La guerre d’Amérique a contribué aux contradictions du règne de Louis XVI, écrit l’auteur, « mais davantage par l’engouement des idées véhiculées par Franklin et d’autres que par l’influence des membres du corps expéditionnaire à leur retour ». En effet, ces

«  officiers américains » étaient divisés. Certains « joueront un rôle dans les assemblées révolutionnaires, mais ce n’est qu’un petit groupe de grands aristocrates déjà libéraux ». On pense à La Fayette. D’autres se retrouveront dans les forces contre-révolutionnaires, notamment lors du soulèvement vendéen.

Un autre paradoxe apparent réside en ce que Vergennes, motivé en Amérique par le seul souci de porter un coup d’arrêt à la domination britannique sur les mers, fuyait généralement tout aventurisme extérieur au nom d’une « politique de modération » reposant sur le constat que la France était « faite » après Louis XIV. « C’est cette modération, écrit Montferrand, qui l’amène en 1775 à refuser de s’emparer du Brésil alors que les Espagnols le lui proposent pour prix d’un soutien contre le Portugal. C’est elle encore qui justifie en 1783 son opposition à l’annexion de l’Égypte, possession turque, alors que Joseph II l’offre à la France en contrepartie du dépècement de l’Empire ottoman ».

Avec le recul ne peut-on pas soutenir, comme le fit Emmanuel Le Roy Ladurie, qu’en aidant les États-Unis à gagner leur indépendance, la France de Louis XVI a « surtout contribué poser, par avance, les bases lointaines d’une hégémonie anglo-saxonne sur le monde » ? Selon le biographe de Vergennes, la réponse est non : « En 1783, rien n’est joué et ne permet de préjuger d’une telle issue. C’est sans compter sur l’affaiblissement français de la Révolution. Qui peut dire si une France stable n’aurait pas gagné de fortes parts de marché en
Amérique ? ».

 

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