Images du canal de Suez : une autre vision de l'Orient

Recension rédigée par Jean Nemo


Comme l’indiquent le nom de l’éditeur et sa collection, il s’agit ici de l’édition « tout public » d’une thèse récente (2015), pratiquement de même titre (Hélène Braeuner ajoutait dans sa thèse les mots « esthétiques et politiques d’une vision »).

L’auteure à la bibliographie encore limitée ne s’est pas intéressée seulement à ce sujet. Depuis son Alsace natale, cette journaliste indépendante, plutôt spécialisée dans les arts graphiques et la peinture, est docteure en histoire de l’art. Elle a aussi écrit à propos de la baie de Somme et de ses peintres, de son prédécesseur lointain, Hansi, évidemment de son Alsace… 

L’intérêt de l’ouvrage réside notamment, au-delà des fantasmes orientalistes, dans les regards croisés entre Orient et Occident, notamment en posant la question des regards mémoriels réciproques.

Après trois préfaces (excusez du peu…), l’ouvrage traite en trois chapitres de la « préhistoire » du canal, de « l’apparition d’un nouveau monument d’Égypte », rattachant ainsi le proche passé du bien plus lointain, de « la distance et de l’appropriation : la mise en scène du symbole »

Dans la première préface, Christine Peltre, professeure à l’université de Strasbourg initiatrice de la thèse de départ, déclare que cette « étude aussi vaste qu’approfondie, synthèse des regards et sources de pistes nouvelles […] est un chapitre incontournable de l’histoire du chantier de Suez ».   

Dans la seconde, celle de Thierry Chambolle (ingénieur général honoraire des ponts et chaussées et président d’une association « Souvenir de Ferdinand de Lesseps »), le préfacier décrit les étapes du chantier et le rôle de son association.

Dans la troisième, celle de José Muñoz (président de l’association des Amis de l’université France-Égypte), ce troisième préfacier rappelle que le groupe SUEZ a accompagné la traversée de trois siècles. Il situe dans l’histoire longue mais aussi proche et en devenir à la fois la géopolitique, l’économie régionale et mondiale, et l’ouvrage d’Hélène Braeuener.

Venons-en à l’ouvrage lui-même. Comme il a été dit au début de cette note, au-delà des fantasmes, dans son introduction, Hélène Braeuener traite successivement :

De «la lecture colonialiste du canal de Suez », des « représentations du canal », en s’interrogeant sur le sens et la nature du « patrimoine ».

De « la diversité des représentations écrites et figurées », en s’interrogeant sur les différentes étapes des regards portés dans l’histoire longue et plus proche à la fois sur le canal mais aussi les fantasmes que ces représentations reflètent au fil du temps.

De « la question de l’image orientaliste et la dimension critique des œuvres », lorsqu’elle s’interroge : « la conquête de l’isthme consistait-elle vraiment à dominer la nature plutôt que l’Autre ? ».

De « l’histoire du canal de Suez : un enjeu pour les puissances européennes », s’interrogeant ici encore mais d’une autre façon sur l’histoire longue et plus proche (allant de Ptolémée à l’époque actuelle) ce qu’elle conclut en disant : « L’ouverture du canal introduit aussi un bouleversement du sentiment de l’espace qui secoua les sociétés occidentales qui entrèrent dans le temps du monde fini ».

Comme il a été dit plus haut, les trois chapitres sont consacrés à la substance même de ce qu’est et ce que fut l’histoire du canal et des reflets dans l’histoire longue et proche. La conclusion de l’ouvrage précise que la « fin de l’orientalisme « n’impose pas de clore l’étude de ses représentations après son inauguration ». Justification même de la rédaction de cet ouvrage.

Lequel est remarquable par son appareil critique, sa bibliographie et le choix des illustrations. Au point qu’il vient d’obtenir le prix Durand-Réville de notre académie récompensant un ouvrage qui traite des différents aspects de la colonisation.