Le Cameroun vu par la presse, 1944-1955 : aux origines de la révolution de mai 1955

Recension rédigée par Patrick Forestier


Haut fonctionnaire du ministère de la culture camerounais, journaliste, écrivain, auteur-compositeur, musicien, cet ancien étudiant à la Sorbonne et au Conservatoire de Cachan Paris-sud publie un ouvrage sur la période qui a précédé la « guerre du Cameroun », jamais reconnue à Paris et à Yaoundé, qui opposa les partisans de l’Union des populations du Cameroun d’inspiration marxiste au pouvoir colonial français, puis aux nouvelles autorités du pays après l’indépendance. L’auteur a choisi un angle original pour traiter cette période charnière pour les nationalistes « modérés, mais non « modérément » nationalistes » précise-t-il : celui des comptes rendus de la presse de l’époque, en particulier des articles du journal Le Monde écrit par son grand reporter André Blanchet qui resta trois mois au Cameroun pendant l’été 1949 pour décrire en huit longs « papiers » le Cameroun de la fin des années 40. En tout, le quotidien du soir publiera en dix ans, jusqu’en mai 1957, cent quatre-vingt-neuf articles sur ce pays.

Un travail de longue haleine sur le terrain d’un grand journaliste qui donne lieu, grâce à celui de l’intellectuel Hermenegilgo Adala, à une étude historique dans sa totalité, sa complexité et en respectant le contexte de la période pré coloniale qui prévalait au Cameroun dans ces années-là. Cette vision historique indispensable à la compréhension d’une époque se trouve avec le recul dans les articles du Monde qui aborde tous les sujets, même ceux qui pourraient fâcher. L’auteur dit Adala Gildo, nous fait vivre, en s’appuyant, sur ces reportages, tous les aspects, chiffres à l’appui, la diversité du Cameroun, et de sa population qui vit sous les règles souvent très dures de l’administration coloniale.  « Ni pour la culture ni pour le traitement des produits, ni pour les travaux publics, on n’avait eu recours au matériel mécanique écrit Blanchet. On ne savait utiliser qu’un seul outil, le bras du Noir, qui coûtait infiniment moins cher. Le beau port de Douala lui-même ne possédant aucun engin de levage mécanique, sauf pour le bois ».  Les transports sont des aventures incertaines. Le nord est quasiment coupé du sud, de ses plantations d’hévéas, de café et de bananes. Pour arriver à Garoua sur le fleuve Bénoué praticable huit semaines par an, les marchandises attendent des mois. L’envoyé spécial titre un de ses articles « Un pays artificiel qui commence à peine à exister » ou il explique la création de ce territoire, d’abord protectorat allemand, cédé à la France et à la Grande Bretagne, devenant « Cameroun français » et « Cameroun anglais ». Un passé qui explique les affrontements d’aujourd’hui avec le pouvoir central dans les régions anglophones.

En 1950, l’une des principales revendications des populations est le monopole des exploitations forestières tenues par des colons blancs, déjà présents dans la culture du cacao, des bananes et du café. L’auteur note cependant l’augmentation du nombre d’écoles et de boursiers. Né en 1933, le président actuel Paul Biya est un ancien élève du lycée Louis-le-Grand, de la faculté de droit de la Sorbonne et de Sciences Po. Même si l’homme politique est critiqué aujourd’hui pour sa longévité au pouvoir, il reste un exemple de la méritocratie du système éducatif de l’époque. Président depuis 1984, il a su toutefois éviter une implosion de son pays, en particulier face aux attaques des djihadistes, peut être grâce à l’envergure d’homme d’état qu’il s’est jadis forgé comme étudiant dans les prestigieux établissements du quartier latin à Paris. A la même époque, les autorités font porter leurs efforts sur la santé, « le secteur qui enregistre le moins de plaintes ou récriminations » note l’auteur du livre.  Le médecin militaire Eugène Jamot est connu dans le pays pour avoir éradiquer la maladie du sommeil qui cause des ravages dans les zones marécageuses. Ce qui n’empêche pas la situation sociale de devenir explosive rappelle Adala Gildo à cause des bas salaires et « des conditions de travail abominables, voire immorales » malgré l’abolition du travail « obligatoire », principal cheval de bataille des néo nationalistes camerounais. 

A propos de la situation économique, l’auteur est plus nuancé. « Malgré tout, le territoire ne se porte pas si mal que ça écrit l’auteur. La preuve ? l’économie repose sur une agriculture dynamique permettant de bien nourrir sa population avec ses produits vivriers abondants et variés et ceux d’exportations. » Idem pour l’élevage. « Les autorités administratives ont pris un certain nombre d’initiatives louables visant l’amélioration et la modernisation des méthodes culturales » ajoute l’écrivain, mentionnant l’usage du fumier et de l’engrais et les méthodes de conservation du sol. Un constat qui complète le portrait de ce pays africain avant l’indépendance, en apportant sans fioritures des éléments de compréhension pour mieux connaître l’Histoire entre la France et le Cameroun.