Le Gabon au coeur : le monde de Jean Kerjean, 1924-1962

Recension rédigée par Paul Coulon


Le dimanche 29 septembre 2019, l’Église catholique du Gabon clôturait le jubilé de ses 175 ans d’évangélisation. C’est, en effet, le 29 septembre 1844 qu’avait été célébrée la toute première messe au Gabon par le Père Jean-Rémi Bessieux (1803-1876) qui allait devenir le premier vicaire apostolique de Libreville en 1849. Il faisait partie des Missionnaires du Saint-Cœur de Marie fondés par le Père Libermann (1802-1852) qui, en entrant à la demande de Rome dans la congrégation du Saint-Esprit, allait faire de cette dernière un des principaux instituts évangélisateurs du continent africain.

Au cours des xixe et xxe siècles, « les Spiritains » - comme on les appelle - comportèrent de nombreuses figures célèbres comme Mgr Augouard (1852-1921) ou Mgr Le Roy (1854-1938), ce dernier ayant fait partie des membres fondateurs de l’Académie des sciences coloniales, devenue en 1957 l’actuelle Académie des sciences d’outre-mer. Mais les généraux ne doivent pas faire oublier les fantassins : des milliers d’autres missionnaires de base ont contribué à écrire l’histoire chrétienne, et l’histoire tout court, de bien des pays africains.

Et voici justement qu’un livre, paru en 2014, a été envoyé à notre Académie, qui mérite recension. Il met en lumière une figure - ordinaire mais en cela intéressante - de l’évangélisation catholique du Gabon au xxe siècle, celle du Père Jean Kerjean : né à Brest en 1895, entré chez les Spiritains en 1913, ayant fait la Grande Guerre de mars 1915 à février 1919, il débarque en 1924 à Libreville : il ne quittera guère le Gabon que pour de rares congés jusqu’à sa mort à l’hôpital à Paris, en 1962.

Son itinéraire gabonais est soigneusement retracé par l’auteur de ce livre assez fourre-tout, Émile Kerjean, qui n’est autre que son neveu, professeur de Lettres classiques dans plusieurs lycées bretons. Jean Kerjean commence en 1924 à Okano sur les rives de l’Ogooué, première mission où il fait des débuts particulièrement difficiles, marqués par la disette. Un séjour au Fernan Vaz, la mission au pays de l’eau, avant de revenir à Okano ; puis ce sont les missions de Sainte-Marie et Saint-Pierre de Libreville ; de Donguila, dans l’estuaire du Gabon ; de Ndjolé à nouveau sur l’Ogooué ; de Makokou, à proximité du confluent de l’Ivindo et de la Liboumba, loin, là-haut, dans le nord-est du Gabon ; et plus loin, à Kemboma, à Batouala, au milieu de la forêt ; et encore de Fernan Vaz, avant de revenir définitivement à Libreville qu’il ne quittera plus à partir de 1949. À qui s’étonnait après sa mort du nombre de postes qu’il avait occupé, le vicaire général du diocèse répondait : « C’est qu’il ne savait jamais dire “non”. »

La correspondance familiale a servi de base à l’auteur, mais il y a ajouté la rencontre des personnes qui avaient connu Jean Kerjean sur le terrain, la consultation des archives spiritaines, la lecture de toute une bibliothèque concernant le Gabon de l’entre-deux-guerres aux premières années de l’indépendance. Le texte alerte (et partant dans de nombreuses digressions) est accompagné de nombreuses illustrations : photos, cartes postales anciennes, dessins en couleur. C’est une véritable mine de renseignements sur le Gabon entre 1924 et 1962.

Il faut souligner l’extrême intérêt de la préface due à l’historien Yvon Tranvouez : spécialiste du catholicisme dans ses évolutions contemporaines, mais également breton, il montre tout l’intérêt de ce livre (mais aussi en filigrane ses limites) : « Parti à la recherche de l’oncle du Gabon, [Émile Kerjean]découvre le Gabon de l’oncle, et voilà ce livre volumineux, foisonnant, ébouriffant, passionnant. Déconcertant, aussi, peut-être. […]Il faut le dire nettement : trop souvent réduite, pour l’opinion publique, à sa face pittoresque et palpitante, la vie missionnaire combinait en réalité, comme l’expliquait fort bien le Père Kerjean en 1925, “les occupations du saint ministère et les surprises continuelles de la vie africaine”. Ces quelques mots résument tout. »

L’auteur a tout lu sur le Gabon au temps de son oncle - comme l’indique l’abondante bibliographie finale dont il a extrait les 34 « Annexes. Pour en savoir plus » des pages 469-539. Un léger regret pourtant : les références exactes de tous ces textes reproduits ne sont pas données…

Pour obtenir cet ouvrage, dans la limite des disponibilités, envoyer un courriel à l’auteur à l’adresse suivante : emile.kerjean42 - at - orange.fr.