Algérie 1830-1914 : naissance et destin d'une colonie

Recension rédigée par Denis Fadda


Jacques Frémeaux, éminent spécialiste de l'histoire coloniale, et particulièrement de l'Algérie - on lui doit notamment Les Bureaux arabes dans l'Algérie de la conquête, La France et l'Algérie en guerre 1830-1870, 1954-1962, La Conquête de l'Algérie : la dernière campagne d'Abd-el-Kader - nous donne avec Algérie 1830-1914, naissance et destin d'une colonie un ouvrage qui fera date.

            Sur l'histoire de l'Algérie, il y eut les pionniers, Charles-André Julien, Charles-Robert Ageron et Xavier Yacono et rien ne peut s'écrire sur le sujet sans avoir connaissance de leurs travaux. Des historiens ont écrit après eux, ils ont manqué parfois de la retenue sans laquelle on cesse d'être un véritable historien.

            Dans l'esprit des pionniers que je viens de citer, Jacques Frémeaux, homme de mesure et de rigueur, qui sait toujours garder la distance nécessaire par rapport à l'événement, nous offre, en quelque sorte, avec cet ouvrage une conclusion à l'histoire de l'Algérie de la période 1830-1914. Même si, bien évidemment, l'Histoire n'a jamais fini de s'écrire, le besoin de l'auteur d'aller toujours plus qu'au fond des choses, son souci constant de ne pas tomber dans la subjectivité, produit l'impression qu'il sera hasardeux d'écrire sur le sujet après lui.

            Avec minutie, Jacques Frémeaux démontre que le destin de la relation entre la France et l'Algérie était dès le départ écrit, dans la mesure où cette relation reposait sur la domination d'un peuple par un autre. Ainsi, aucune des politiques, d'ailleurs fort tâtonnantes et maladroites de Paris, n'aurait pu effacer le péché originel. Et certainement pas après la dure conquête, qui fut totale une fois intervenue la rupture avec Abd el-Kader.

            L'auteur analyse la politique de Bugeaud et celle de ceux qui se sont opposés à lui, tels les saint-simoniens et le Père Enfantin, lui-même, qui a parcouru l'Algérie entre 1839 et 1841, ou les fouriéristes dont certains militaires, tels Lamoricière, s'inspirent.

            Mais ces partisans de solutions généreuses n'eurent guère la possibilité de construire une Algérie pour tous les Algériens.

            La Seconde République a favorisé une colonisation de peuplement et la création de villages. Les résultats sont restés mitigés puisque seulement la moitié des colons installés demeurait sur place à la fin de 1850. Même sous la Troisième République, d'ailleurs, le peuplement demeurera tout de même limité, ce qui ne sera pas sans conséquences pour l'avenir.

            Napoléon III eut la volonté de corriger les fautes et les erreurs de ceux qui l'avaient précédé.

            Jacques Frémeaux analyse les idées de l'Empereur concernant l'Algérie et met en évidence le rôle constant joué auprès de lui par Ismaël Urbain. Né à Cayenne, converti à l'islam, Urbain deviendra un très bon connaisseur du monde musulman.

            Napoléon III fait deux déplacements en Algérie, l'un, en 1860, qui a dû être écourté et l'autre de plus d'un mois en 1865 ; ces déplacements contribuent à renforcer ses convictions et à préciser ses idées ouvertes et généreuses. Le 6 février 1863, il écrit : « L'Algérie n'est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe. Les Indigènes ont, comme les colons, un droit égal à ma protection, et je suis aussi bien l'empereur des Arabes que l'empereur des Français ». A l'issue de son second voyage, il attribue la nationalité française à tous les « indigènes algériens », musulmans et israélites sans les forcer à abandonner leur législation d'essence religieuse. L'octroi de la citoyenneté est soumis à l'abandon du statut personnel. Les israélites acceptent d'y renoncer, et par le décret Crémieux d'octobre 1870 – conforme au projet préparé sous le Second Empire mais non voté faute de temps – sont déclarés citoyens français.

            La politique dite du « Royaume arabe » fondée sur un réel intérêt porté à la société autochtone dans le respect de son organisation, de son patrimoine foncier, mais aussi de sa culture et de ses valeurs et qui doit s'inscrire dans un vaste projet méditerranéen, se heurte à de fortes oppositions. Des oppositions qui, servies par la terrible famine due à la sécheresse et aux exceptionnelles invasions d'acridiens des années 1866-1870, et la chute inattendue du régime, ont pu obtenir l'enterrement du vaste programme de Napoléon III.

            La IIIème République n'a jamais repris ce programme et les évolutions auxquelles elle a procédé ont été bien minces. La métropole domine totalement le pays tant sur le plan économique que sur le plan politique. L'essentiel des pouvoirs civils et militaires reste concentré en la personne du gouverneur général assisté par un conseil de gouvernement constitué essentiellement de hauts fonctionnaires.

            Malgré cet immobilisme et les ressentiments que, inévitablement, il engendre, l'Algérie envoie en nombre ses fils combattre en 14-18 ; ils le font avec loyauté et bravoure.

            Qu'on l'admette ou pas, 132 années d'histoire commune ont tissé des liens forts entre la France et l'Algérie et entre Algériens et Français, liens qui ne peuvent être ignorés. C'est ce qui ressort déjà de ce volume désormais incontournable. Aussi Jacques Frémeaux, qui précisera sa pensée dans un second volume, ne désespère pas tout à fait de l'avenir.