Ismaïl Pacha : khédive d'Égypte

Recension rédigée par Hubert Loiseleur des Longchamps


Dans le dix-neuvième siècle égyptien, Ismaïl Pacha restera celui qui aura permis la réalisation du canal de Suez mais qui, par sa prodigalité, aura conduit au surendettement du pays et à la prise de contrôle progressive de l’Égypte par l’Angleterre.

Au moment où Ismaïl Pacha, petit-fils du chef de la dynastie Mohamed Ali, succède en 1863 successivement à son père Ibrahim, son frère Abbas 1er et à son oncle Saïd, l’Égypte est un pays de 5 millions d’habitants, placé stratégiquement sur la route des Indes et cherchant à échapper progressivement à la tutelle de la Sublime Porte.

Saïd Pacha reçoit en héritage à 33 ans un encombrant projet de canal qui est combattu par les Anglais et peu apprécié par le sultan Abdul Aziz de Constantinople, le Commandeur des croyants, « ombre de Dieu sur terre », régnant sur un immense empire qui s’affaiblit progressivement. La « question d’Orient » est déjà posée aux grandes puissances européennes et elle ne sera résolue qu’avec la Première guerre mondiale qui verra l’empire ottoman dispersé entre les puissances victorieuses.

Tandis que les Anglais craignent que l’isthme de Suez ne devienne une colonie française, la Porte redoute une émancipation de l’Égypte. La controverse, nourrie également par le délicat problème de la corvée, obligeant des milliers de fellahs à travailler pour le canal dans des conditions inhumaines et destructrices pour les activités agricoles, prendra fin avec un arbitrage de Napoléon III en 1864, consolidé par un firman impérial en 1868. Ferdinand de Lesseps, Ismaïl Pacha et Abdul Aziz auront dû s’adapter chacun à des contraintes spécifiques, les Anglais attendant leur revanche. Comme chacun sait, l’inauguration du canal aura lieu en 1869 en présence de l’impératrice Eugénie avec un faste inégalé.

Ismaïl Pacha, qui parvient à obtenir du sultan le titre de « Khédive » est, comme son grand-père, désireux de faire rentrer son pays dans la modernité. Son modèle est la France, dont il parle excellemment la langue, et il entreprend de reproduire au Caire la méthode haussmannienne. La capitale égyptienne compte alors 250 000 habitants, et elle est la seconde ville de l’empire après Constantinople. Ses rues sont étroites et insalubres. Des chantiers s’ouvrent dans toute la ville. Le Khédive fait construire dans le pays des voies ferrées et un réseau télégraphique. Un bassin de radoub est créé à Suez, alors que des digues sont érigées autour du Nil pour contenir les inondations annuelles. Il s’attache à mettre en place une instruction publique plus efficace, et réforme Al Azhar. Les jeunes princes, ses enfants, reçoivent une éducation soignée, à l’européenne, en France et en Angleterre.

Il lance de multiples chantiers sans arrêt, il contrôle tout et intervient dans toutes les affaires. On recense plus de 20 000 lettres dans ses archives. Mais cette activité vibrionnante et parfois brouillonne a un coût. Le Khédive dépense sans compter, pour son pays, pour lui-même et pour résoudre de nombreuses difficultés diplomatiques. Les dettes s’accumulent et des montages financiers scabreux permettent à ses créanciers, notamment britanniques qui ne sont pas sans arrière-pensées, d’imposer des taux d’intérêt léonins.

Sans désemparer, Ismaïl Pacha lance des expéditions vers le sud, mais les conquêtes territoriales sont là encore coûteuses et peu réussies. Il conduit également une réforme judiciaire qui limite les fameuses capitulations et la justice religieuse.

Les emprunts se succèdent, alors que l’Empire ottoman est déclaré en faillite, et que la mise sous tutelle de l’Égypte se profile. Disraeli profite de la situation pour acheter - à très bon prix pour l’acquéreur - les 44 % détenus par le Khédive dans la compagnie du canal de Suez. Mais Ismaïl Pacha, cerné par les créanciers, est acculé à la destitution imposée par la Porte par un simple télégramme, le 26 juin 1979.

Commencent alors quelques années d’errance luxueuse en Europe : Italie, France, Angleterre, jusqu’à la mort d’Ismaïl Pacha en mars 1995. Il repose au Caire, dans la mosquée Al Rifaï, à côté de la tombe de sa mère.

Robert Solé, avec son style élégant, précis et chaleureux, nous entraîne dans la biographie d’un personnage attachant, dont la mauvaise gestion n’est malheureusement pas un cas isolé, mais qui a réellement voulu moderniser son pays et lui donner davantage d’indépendance dans un empire ottoman finissant. Cet ouvrage plaira à tous les amoureux de l’Égypte qui y retrouveront la nostalgie d’un pays qui garde de nombreuses et visibles traces de cette époque.