L'expédition Lapérouse : une aventure humaine et scientifique autour du monde

Recension rédigée par Emmanuel Desclèves


Préfacé par l’amiral François Bellec qui fait autorité en la matière, ce magnifique ouvrage superbement illustré vient encore enrichir et compléter notre connaissance de cette épopée tragiquement interrompue. En voyageur curieux et sensible, Bernard Jimenez a suivi l’expédition dans ses escales successives ; en compagnie de son épouse, il s’est rendu sur place pour découvrir les traces même imperceptibles des équipages de La Boussole et de L’Astrolabe, pour retrouver peut-être ici et là la mémoire locale que la transformation physique des lieux n’aurait pas toujours effacée. Dans ce périple maritime de près de trois ans, ce sont donc les escales qui sont à l’honneur : contrairement à la plupart des ouvrages de ce type, la navigation n’y est pratiquement pas évoquée, malgré de très longues traversées océaniques qui ne furent naturellement pas exemptes de péripéties diverses.

Après les trois célèbres campagnes de circumnavigation de Cook, l’expédition Lapérouse était destinée à couvrir des zones géographiques du Grand Océan encore mal connues des Européens. Le tracé du périple sillonnait à grands traits croisés le Pacifique, en une vingtaine d’escales, couvrant notamment ses atterrages septentrionaux à l’est et à l’ouest ; il passait aussi par le sud de l’Australie. Cet ambitieux projet conçu dans l’esprit des Lumières fut minutieusement préparé, puis précisé dans des instructions détaillées rédigées par le capitaine de vaisseau de Fleurieu et annotées de la main du roi. Une vingtaine de savants, ingénieurs et artistes furent embarqués.

D’escale en escale, l’auteur nous introduit dans la géographie locale et redonne vie aux occupations des équipages des deux vaisseaux. Le lecteur se met aisément à la place de ces voyageurs d’autrefois, découvrant telle curiosité, participant à des fêtes, herborisant ici et là, mesurant la hauteur d’un pic, relevant le tracé d’une baie, observant les astres ou rencontrant les Indigènes. Après l’escale, c’est le temps de l’analyse et de l’écriture ; on trie les multiples échantillons destinés aux cabinets de curiosités ; les artistes dessinent et peignent.

Mais la mer sait être cruelle. En tentant de découvrir le mythique « passage du Nord-Ouest », Lapérouse s’engage dans une zone sauvage où l’action conjuguée des houles et des courants peut se révéler très dangereuse. Après une escale calme et fructueuse à Port-des Français (Alaska), deux chaloupes sont ainsi retournées en un instant, laissant vingt-et-un morts noyés. L’expédition poursuit néanmoins sa route vers la Californie, puis les navires traversent entièrement l’Océan pour rallier Macao et Manille, avant de remonter la côte chinoise vers le Japon, la Corée, la Tartarie et la Sibérie.

De Saint-Pierre-et-Saint-Paul (Petropavlovsk), Lapérouse taille plein sud vers l’archipel des Navigateurs (Samoa). Un nouveau drame survient dans l’île de Tutuila, dans un décor paradisiaque (sic) et après une réception chaleureuse de la part des habitants. Le commandant de Langle accompagné d’un détachement armé était allé faire de l’eau avec deux chaloupes. Ils furent pris à partie par une foule nombreuse qui les attaqua à coup de pierres. On dénombra douze morts chez les Français. Le 24 janvier 1788, les vaisseaux entrent dans Botany Bay (sud de Sydney) où ils rencontrent une escadre anglaise. C’est l’occasion de dernières dépêches postales, qui parviendront à Versailles en juin 1789 ; aucun témoignage direct ne sera retrouvé pour la suite du voyage.

Lapérouse conduisit alors l’expédition vers les Îles des Amis (Tonga), où Dumont d’Urville retrouva sa trace en 1827. Ensuite, il est certain qu’elle passa en Nouvelle-Calédonie et mouilla à l’île des Pins, conformément aux instructions du roi (avril-mai 1787).

En pleine période révolutionnaire, la France n’a pourtant pas oublié la fameuse expédition dont le retour était attendu pour l’été 1789. Mais les nouvelles tardent, l’opinion s’émeut et l’on commence à s’inquiéter. Une expédition de recherche est finalement décidée sous les ordres de d’Entrecasteaux, qui quittera Brest en septembre 1791. Elle ne parviendra pas à percer le secret de la disparition des vaisseaux de Lapérouse. Ce n’est qu’en 1826 que Peter Dillon, capitaine d’un navire marchand, put déceler les indices d’un passage à Vanikoro, une île proche de Tikopia (nord Vanuatu). En escale à Hobart en fin 1827, Dumont d’Urville apprend la nouvelle et se rend à Vanikoro en février 1828, où il découvre une première épave. Diverses autres missions de recherche sont organisées par la suite. En 2005, l’identification de La Boussole est confirmée sur le récif de Vanikoro.

La fin de l’histoire balance entre légende et réalité. Plusieurs hypothèses restent ouvertes pour expliquer ce qu’il est advenu des probables survivants des naufrages. Sont-ils restés sur place, ont-ils construit une embarcation pour quitter Vanikoro ? Certains pourraient également avoir fait le choix de partir avec les Indigènes. Quoiqu’il en soit, alors que l’expédition Lapérouse avait déjà donné lieu à une importante moisson de découvertes, les recherches poursuivies pendant près de deux cents ans ont permis d’approfondir sensiblement les connaissances acquises, dans tous les domaines.