Cent ans après le front de l'est : l'Arménie et le levant entre guerres et paix : colloque international Lyon, 9-10 novembre 2018

Recension rédigée par Christian Lochon


Hilda Tchoboian présente ainsi le thème du Colloque : « Nous avons voulu faire le point sur les bouleversements politiques et démographiques au Proche-Orient et au Caucase, deux fronts sur lesquels la (première) guerre s’était poursuivie en dépit de l’Armistice ». Des 17 communications de 14 contributeurs, neuf concernent la Cilicie, quatre, la résurgence de l’Arménie, quatre, la Conférence de la Paix à Paris.

Sous le titre général de Cilicie, La France au Levant (p. 13 à 121), Raymond Kevorkian rappelle qu’après l’anéantissement de 1915, les Arméniens avaient eu la ferme volonté de reconstruire leur nation (p.15). 115.000 rescapés arméniens furent comptabilisés en Égypte, Syrie, Irak, Iran (p.21). Pour la majorité d’entre eux, la Cilicie, était perçue comme foyer national (p.20). La Cilicie cédée à la Turquie, 100.000 Arméniens se réfugièrent en Syrie et au Liban en 1921 (p.20).

Gérard Dedéyan évoque la création de la Légion d’Orient, formée à Chypre en 1916 par des officiers français. Elle allait défendre le Foyer National Arménien en Cilicie, héritier du Royaume d’Arménie du temps des Croisades (p.29). Mais dès le 1er février 1919, un soulèvement général de la population turque (p.37) forcera le Gouvernement français à signer l’Accord d’Ankara en octobre 1921 qui lui fit renoncer à l’occupation de la Cilicie (p.38).

Susan Paul Pattie, parle de la formation de la Légion d’Orient, constituée de 4.000 Arméniens évacués de Cilicie. Cette Légion envoyée en Palestine regagna la Cilicie en décembre 1919 (p.45), mais le manque de cohésion entre Arméniens (p.48) entraîna la démobilisation (p.51) et l’expatriation des Légionnaires vers la Syrie, les États-Unis ou la France (p.52).

Claude Mutafian décrit le siège d’Aïntab en Cilicie qui dura du 1er avril 1920 au 9 février 1921 et que les Turcs renoncèrent à occuper. Malgré cet échec, la Cilicie revint aux Turcs en échange de la reconnaissance par Ankara du mandat français sur la Syrie (p.62).

Pour Yves Ternon, en Mars 1920, la France n’ayant pas les moyens de lutter contre les nationalistes turcs et arabes, choisit de négocier avec Kemal (p.70).

Cette communication décrit les étapes de l’évacuation française de la Cilicie dont la population comptait 210.000 chrétiens dont 125.000 Arméniens (p.75).

Pour Vahé Tachjian, la Cilicie représentait pour la France une importance stratégique pour la préservation du Liban et de la Syrie (p.78).

Fabrice Balanche estime qu’en 1918, la population chrétienne pouvait justifier la création d’un Liban chrétien et d’une zone d’influence française en Cilicie (p.88) mais la faiblesse numérique de la population après le génocide ne permettait plus à la France de s’imposer dans cette région (p.97).

Evoquant la Syrie, Raymond Kevorkian estime que l’influence française reste souvent encore bien présente dans ce pays (p.101). En 1914, les 3.000 Arméniens alépins, non déportés, ont joué un grand rôle dans la survie de nombreux Arméniens expulsés (p.103). Durant la guerre, la suspension des importations de matériel rendit aux artisans arméniens une indépendance économique (p.106).

Fabrice Balanche, examinant les effets de la guerre civile syrienne, calcule qu’il reste à Alep en 2018 10.00 Arméniens sur 100.000 (p.107). Les principales victimes de la crise syrienne sont les minorités chrétiennes qui pèsent peu dans les affrontements entre puissances (p.108). En Août 2016, Poutine et Erdogan s’entendent au détriment des rebelles syriens et des Kurdes (p.112). Les États-Unis demeurent en Syrie contre Daech (p.114). Le communautarisme régissant la société syrienne (p.116), les sunnites réfugiés à l’extérieur, les alaouites d’Alep, les chrétiens de Raqqa ne veulent plus revenir (p.120).

En ce qui concerne la résurgence de l’État arménien (1918-1921) au sud du Caucase (p.123 à 216), pour Richard Hovannissian, le chemin à adopter vers l’indépendance était totalement inconnu en 1918. Les mouvements réformateurs avaient concentré toutes leurs aspirations vers l’Arménie turque ou occidentale et non l’Arménie russe (p.126). En 1918, la Transcaucasie éclate en 3 États indépendants (p.168). La Géorgie le 26 mai 2018 se place sous les autorités allemandes empêchant l’invasion turque. L’Azerbaïdjan proclame son indépendance avec la bienveillance de la Turquie (p.127). Le Conseil National arménien à Tiflis proclame l’indépendance de l’Arménie le 28 mai 1918, comprenant Erevan et les environs ; Ankara reconnaît le 4 juin 1918 ce petit État dont les Gouvernements réuniront des Dachnaks, des Joghovradan (Libéraux) et des indépendants (p.129). En automne 2020, l’Arménie subit une nouvelle invasion turque, puis entre en conflit territorial avec la Géorgie. L’Azerbaïdjan est soviétisé en mai 1920. Un Traité de fraternité avec la Russie entraîne la soviétisation de l’Arménie (p.180). Malgré la sympathie des puissances alliées, l’Arménie n’avait obtenu à la Conférence de la Paix aucune reconnaissance officielle, ni aucun soutien financier ni militaire (p.149). Pourtant la République d’Arménie s’est perpétuée à travers la République socialiste soviétique d’Arménie, puis à travers la nouvelle République d’Arménie de 1991 (p.181).

Pour Ashot Melkonian, le premier pays à reconnaître la République d’Arménie fut la Turquie par le Traité de Batoum (4 juin 1918) puis, le 2 décembre 1920, le Traité d’Alexandropol réduisit l’Arménie à 9500 km et la força à renoncer au Traité de Sèvres. C’est la collaboration turco-bolchévique qui détruisit la première République d’Arménie.

La contribution d’Armen Asryan montre bien les débuts difficiles de la République arménienne ; lorsqu’Aram Manoukian fut envoyé de Tiflis à Erevan comme « Dictateur », il n’existait pas de structures administratives (p.196)) ; les « Tatars » (Azéris) encouragés par les Turcs, pillaient les maisons et détruisaient les voies ferrées. Battus à Sardarapat, les Turcs reconnaissent le nouvel État (p.203), soutenu par l’Église apostolique arménienne (p.200).

Khatchatur Stepanyan dresse un portrait des Pères fondateurs de la République d’Arménie, Aram Manoukian (1879-1919), Avétik Sahakian (1864-1933 à Beyrouth), Avétis Aharonian (1866-1948 à Marseille), Hovhannès  Katchaznouni (1868-1938 à Erevan), Rouben Ter Minassian (1883-1951 à Paris). Drastamat-Kanayan, dit Dro, se battit pour l’Arménie et le Haut-Karabakh en 1920, mais les Bolcheviks l’expulseront d’Arménie en 1921.

Ashot Melkonian évoque les délégués arméniens envoyés à Versailles le 3 décembre 1918, dirigés par Avédis Aharonian (p.219). Ils découvrent la Délégation Nationale Arménienne de Boghos Noubar, qui demandait d’inclure la Cilicie et l’Arménie Occidentale dans la future République d’Arménie (p.220). Le président Woodrow Wilson soutenait la délégation arménienne, mais le Sénat américain refusa le Mandat (p.222). Le 10 août 1920, le Traité de Sèvres jamais appliqué, accorda à l’Arménie 160.000 km2.

Joseph Yacoub spécialiste de la tragédie génocidaire menée par les Turcs envers les Assyro-Chadéens de Turquie, d’Irak, d’Iran de 1915 à 1919 (p.223) décrit l’impossibilité pour ce peuple d’obtenir en Irak une entité autonome (p. 234).

La contribution d’Ozcan Yilmaz montre que le nationalisme arménien est à la fois une raison d’émergence et d’échec du nationalisme kurde (p.237) ; dès la fin du XIXe siècle, les chefs tribaux kurdes craignaient de perdre leur domination sur les populations non musulmanes, notamment les Arméniens. A la Conférence de Paris, la délégation kurde de Chérif Pacha réclame les mêmes territoires que la délégation arménienne (p.244). Le conflit arméno-kurde permet aux nationalistes turcs de faire échouer le nationalisme kurde (p.246).

Diplomate, Ara Papian analyse le contenu des traités de Sèvres du 10 août 1920, d’Alexandropol du 3 décembre 1920, de Moscou du 16 mars 1921, de Kars du 13 octobre 1921 et de Lausanne du 24 juillet 1923 (p.250 à 253). Il conclut que les frontières de l’Arménie dessinées par le Président Wilson en 1920, reconnues par la Grande Bretagne, la France, l’Italie et même la Turquie sont toujours valables et que la Turquie occupe illégalement des provinces arméniennes comme elle occupe indûment la partie Nord de Chypre (p.257).

Les contributeurs de ces Actes apportent les éclaircissements nécessaires sur les événements qui ont endeuillé la Cilicie et la nouvelle Arménie dans les années 1918-1921. Les illustrations, cartes, photos, affiches, les complètent utilement (entre les p.122 et 123).