Une vie en Afrique : 1894-1939 : Henri Gaden, officier et photographe = A life in Africa : 1894-1939 : Henri Gaden, officer and photographer

Recension rédigée par Jean Martin


Professeur d’anthropologie à l’université de St.Andrews, en Écosse, Roy Dilley  s’est intéressé de longue date aux populations de l’Afrique francophone. Collectionneur de documents iconographiques, il a inventorié les collections des fonds laissés par Henri Gaden et aujourd’hui conservés pour l’essentiel aux archives d’outre-mer d’Aix en Provence. D’autres photographies proviennent des archives municipales de Bordeaux, quelques autres encore de fonds privés. Il en a tiré ce beau recueil bilingue. Roy Dilley a bénéficié du soutien de Benoit Van Reeth, directeur des Archives Nationales d’Outre-mer et ne pouvait trouver collaboration plus éclairée que celle d’Isabelle Dion, conservateur en chef du Patrimoine qui a assuré la coordination scientifique de cet ouvrage et a rédigé une présentation de la photothèque des ANOM.

Issu d’une famille de la grande bourgeoisie bordelaise, de lointaine origine allemande, enrichie dans le commerce des vins (l’aristocratie du bouchon), Henri Gaden (1867-1939) voulut embrasser la carrière des armes. Il fut élève au lycée Louis le Grand, puis à sa sortie de Saint-Cyr (1890), il fut affecté au 53 ème régiment d’infanterie de marine de Tarbes et s’embarqua pour l’Afrique de l’ouest à la fin de l’année 1894.

Ce fut le premier contact avec le continent noir où il allait faire toute sa carrière, et passer près de 45 années de sa vie. Ce fut aussi le début des émerveillements, la séduction de l’exotisme. Il remonta le fleuve Sénégal à bord du « Borgnis-Desbordes », passa dans le bassin du Niger et rejoignit son premier poste, celui d’adjoint au résident de Bandiagara, en pays Dogon. Il prit ensuite part aux opérations contre Samory Touré et était présent lors de la capture de ce dernier, le 29 septembre 1898. Après un congé en France, il fit un voyage au Tchad (1904-1907), qui fut son seul contact avec l’Afrique Équatoriale. Il revint ensuite au Soudan pour occuper les fonctions de résident auprès du sultan de Zinder. La collection de photographies qui nous est présentée s’arrête à ce moment de sa carrière. La période mauritanienne n’est pas concernée.

De 1908 à 1914, il fut affecté en qualité de commandant du cercle de Boutilimit en Mauritanie et entreprit l’étude de l’arabe. Au début de l’année 1914, il fut appelé au Maroc où il prit part aux opérations de pacification dans le sud du pays. Blessé dans une embuscade en 1915, il quitta l’armée l’année suivante pour entrer dans l’administration des colonies. Il retourna au Sénégal en qualité de commissaire du gouvernement général pour le territoire civil de Mauritanie, en résidence à Saint-Louis.

Par un décret du 4 décembre 1920, le territoire de Mauritanie fut érigé en colonie rattachée à la fédération d'AOF et divisée en huit cercles. Henri Gaden fut tout naturellement appelé aux fonctions de lieutenant-gouverneur avec rang de gouverneur de 3eme classe. Le lieutenant-gouverneur résidant toujours à Saint-Louis du Sénégal, le chef-lieu de la colonie se trouvait donc hors du territoire de celle-ci, cas unique à notre connaissance dans l'Empire colonial français. Atteint par la limite d’âge, il fut mis à la retraite en 1926 mais poursuivit jusqu’à sa mort ses études des langues arabe et Fulfuldé.

Influencé par l’exemple de Lyautey et peut-être par celui de l’administration britannique du Nord-Nigeria, Gaden avait cherché à appliquer en Mauritanie une politique d’association basée sur la collaboration avec les autorités coutumières et confrériques et sur le respect de l’autonomie interne des émirats, Trarza, Brakna, Idou Aïch et Kounta.

Contrairement à ce que sa famille et ses amis, Gouraud notamment, eussent souhaité, il ne se retira pas en métropole, mais passa ses vieux jours à Saint-Louis aux côtés de sa dernière mousso (compagne africaine), Coumba Cissé, d’ethnie Sarakolé.

Gaden laissait derrière lui une œuvre considérable d’ethnologue, d’anthropologue, de linguiste et surtout de photographe. Très tôt séduit par cette nouvelle technique, il ne s’était pratiquement jamais séparé de son appareil photographique.

En 1890, l’âge héroïque de la photographie était révolu mais l’attirail d’un bon photographe n’en était pas moins lourd et complexe. C’était l’époque de la photographie sur plaques de verre stéréoscopiques (plaques sèches). Son équipement est décrit p.31. La photographie exerçait une grande fascination sur les Africains et a constitué un atout majeur de la pénétration pacifique : de grands notables et même des sultans envoyaient leurs  enfants et leurs épouses auprès de Gaden pour qu’il fit leur portrait.

Le chapitre premier (introduction) campe le personnage, son goût de l’exotisme, son attachement pour sa sœur Françoise (dite Mine) qui vivait apparemment à Perpignan, son attrait pour les cieux lointains, son amitié pour Henri Gouraud.

Le chapitre II nous fait partager les éblouissements du voyageur à son arrivée sur le sol africain : foule bigarrée de Dakar, remontée du fleuve Sénégal, architecture traditionnelle des silos sur pilotis où les villageois engrangent leurs récoltes, paysages de montagnes qui rappellent les Pyrénées, retour de chasse au lion (p.59). Certains aspects du cours du Niger, bordé de marécages, lui rappelaient la Gironde au Bec d’Ambès.

Le chapitre III est intitulé : « échanges, commerce et communications ». Les voies de communication, à l’époque, étaient avant tout les fleuves. Aussi le chapitre nous offre-t-il de nombreuses scènes de navigation fluviale, de pirogues sur le Niger. Les conditions de voyage sur le Congo à bord du vapeur fluvial « Brazzaville » n’étaient pas des plus agréables si l’on en croit la légende de la p.81. Nous apprenons p.93 que dans la région de Zinder les bœufs (ou zébus) étaient utilisés comme animal de bât. Ce chapitre nous montre également des caravanes de dromadaires (et non de chameaux comme indiqué par erreur dans la légende des pp. 93-94). Le portage sur la tête a inspiré à Gaden plusieurs photographies et nous apprenons qu’il ne se dédaignait pas de se faire lui-même porter en filanzane (p.103). Les ânes, la voie ferrée de Rufisque au Soudan, ne sont pas oubliés, de même que les voiliers du lac Tchad.

Le chapitre IV est centré sur la présence coloniale française en Afrique de l’Ouest et nous présente surtout des photographies réalisées par Gaden pendant son séjour à Zinder. Il ne donne pas une description flatteuse de cette localité, entourée d’une imposante muraille à l’intérieur de laquelle se trouve un misérable village de 3000 âmes tout au plus.

Gaden a également rapporté d’intéressantes photographies de sa campagne contre Samory Touré (1897-1899). On sait qu’il fut avec Gouraud, Lartigue et le Dr. Boyé, l’un des quatre officiers qui capturèrent ce dernier (septembre 1898). Ces vues sont rassemblées au chapitre V.

Au cours de son congé de quatorze mois qui suivit la guerre contre Samory, Gaden fit, à la fin de 1899, un voyage en Tunisie où il rendit visite à un de ses amis nommé Élye-Sainte-Marie.  Il en rapporta des photographies de Sousse et de la région des Matmata (habitations troglodytiques). Cet ex-cursus dans un parcours centré sur l’Afrique subsaharienne fait l’objet du chapitre VI.

Le chapitre VII nous montre le regard de l’ethnographe sur les Africains dans leur vie quotidienne, dans leurs tâches les plus courantes, cuisine, artisanat aussi bien que dans leurs réjouissances, musique, danses. On y trouve quelques vues sur le voyage au Congo et au Tchad.

Le développement de l’intimité se poursuit au chapitre VIII qui nous fait pénétrer dans le monde des femmes africaines que Gaden a pu approcher au cours de ses voyages. On sait qu’il eut au moins six épouses africaines auxquelles il s’était uni par le mariage local ou « mariage pays ». Le portrait (hypothétique) de sa sixième femme nous est donné p.295. Nous voyons aussi un bon nombre de portraits de musulmanes, notamment de Beyla et de Zinder, drapées dans leurs pagnes dont une fille de Samory, « mousso » de Gaden, et aussi des animistes à peu près nues. Ce même chapitre nous propose plusieurs photographies de groupes d’enfants.

Le chapitre IX nous propose vingt-six portraits individuels parmi lesquels on remarquera celui de Samory Touré, (pp.319 et 320) celui du colonel Péroz (p.323) et celui d’Émile Gentil (p.337). Si Gaden fut au départ assez séduit par la personnalité de ce dernier, il changea rapidement d’opinion et en vint à le juger comme brouillon, arriviste et nuisible plutôt qu’utile. (On sait par ailleurs que l’attitude de Gentil à l’égard de Brazza lors du passage de ce dernier en 1905 fut à peine correcte). Gaden a par ailleurs dénoncé les abus de l’administration du Congo, ceux des compagnies concessionnaires ainsi que les agissements de Gaud et Toqué, qu’il rencontra à Brazzaville, sans doute à la veille de leur procès.

La faiblesse de cet ouvrage vient de l’imprécision de certaines légendes : trop de portraits d’hommes ou de femmes inconnus, non localisés et non datés. Il en est de même de certains paysages.

Ce très beau recueil de photographies n’en constituera pas moins un instrument de travail indispensable pour tous les chercheurs, ethnologues, géographes ou historiens, qui s’intéressent à l’Afrique de l’Ouest sous le régime colonial français.