Diplomate dans l'Orient en crise : Jérusalem et Kaboul, 2002-2008

Recension rédigée par Christian Lochon


Ce livre de souvenirs de l’ambassadeur Régis Koetschet est émaillé d’allusions à l’Égypte. Avant d’être intégré au Ministère des Affaires Etrangères, il avait dirigé le Centre d’Études et de Documentation économiques, juridiques et sociales du Caire. Il « servira » par la suite dans des postes « de forte tension » (p.85), dans la Libye de Kadhafi, l’Irak de Saddam, le Pakistan de Zia-Ul-Haq, le Togo d’Eyadema ou plus sereins aux Pays-Bas et en Oman. Par contre, « Jérusalem et Kaboul sont 2 postes diplomatiques insérés dans un environnement de violence » (p.86). La sécurité du dispositif y sera pour lui une préoccupation de tous les instants (p.95). Mais aussi la gestion du personnel : « Il faut coûte que coûte que le Chef de poste tienne la barre, protège l’équipe parfois d’elle-même (p.166) ; de même que lui tiendront à coeur les facteurs culturels, « outil diplomatique de premier ordre » ou humanitaire (p.126) ou religieux si nécessaire : « L’Orient est religieux et la diplomatie ne saurait ignorer cette donnée de base » (p.97).

A Jérusalem, l’auteur évoque son célèbre prédécesseur Paul-Émile Botta, consul archéologue de 1848 à 1855 (p.18). La France dispose à Jérusalem, dans les territoires palestiniens, d’un dispositif culturel remarquable (p.118) dont le Centre français de recherches et une antenne de l’IFPO (p.124). D’où cette « diplomatie par la peau » qui lui fait parcourir toutes les villes palestiniennes de sa circonscription consulaire, Jenine, Qalqiliya, Naplouse, Taybeh, la Vallée du Jourdain, Hébron, Gaza (p.169-176).

D’autre part, le facteur religieux essentiellement chrétien est dans les gènes du consulat général de Jérusalem (p.99) qui assure la protection des domaines nationaux, l’Eleona du Pater sur le Mont des Oliviers (Carmélites), l’église croisée d’Abou  Ghosh (Bénédictins), Sainte Anne ( Pères Blancs ) et l’École biblique et archéologique française des Dominicains (p.28, 102), les hôpitaux français, confiés à des religieuses, de Jérusalem, de Bethléhem, l’hôpital Saint-Louis à Mamilla (p.106), la Maison d’Abraham, gérée par le Secours catholique français pour l’accueil des pèlerins (p.107). De même, la relation avec les autorités du Waqf en charge du Dôme du Rocher et de la mosquée Al Aqsa est confiante et régulière (p.107).

Sur le plan politique, les postes diplomatiques de Jérusalem et de Tel Aviv sont dans un positionnement d’indépendance et de « concurrence ». Jérusalem a besoin de Tel Aviv et de ses accès aux autorités israéliennes (p.29). M. Koetschet avoue que sa mission a été dominée par la relation avec Arafat (p.37) qui se voyait comme l’ultime figure des grands courants du nationalisme arabe (p.43) malgré ses fatigues, ses faiblesses, ses défaillances. Son pouvoir ritualisé par son entourage l’étouffait (p.53) en plus de l’enfermement imposé par les Israéliens. D’ailleurs, Arafat hospitalisé à Paris décède le 11 novembre 2004 (p.59). Lorsque les hommages militaires lui ont été rendus à l’aéroport de Villacoublay, l’État palestinien a existé pendant quelques minutes (p.60). La mort d’Arafat créée un grand vide ; il donnait de la légitimité à l’Autorité palestinienne et assemblait toutes ses composantes (p.62). La classe politique, brillante et articulée, était souvent passée par les prisons israéliennes. Son quotidien dur (check-points, pesanteurs sociales), l’empêchait de se projeter dans un avenir (p.40).

Le diplomate nous livre ses appréhensions d’hier utiles à méditer aujourd’hui. Son ami, Sari Nusseibeh, président de l’Université Al Quds et dont la famille partage la garde des clefs du Saint-Sépulcre, lui avait confié : « Dans quatre ans, plus rien à négocier à Jérusalem et dans six ou sept en Cisjordanie. Restera un peuple palestinien humilié, abandonné comme rayé de l’histoire » (p.85). Lorsque la Résolution 1515 mentionna un règlement permanent autour de deux États (p.48), l’unilatéralisme israélien était désormais seul à la manœuvre. Le chaos palestinien allait faire le reste (p.49). 

Nommé à Kaboul, le nouvel ambassadeur trouve que l’Afghanistan est un pays compliqué, lent et clos (p.76). Deux réflexions le marquent particulièrement, celle d’un Afghan au Général de Villiers « Vous avez la montre, nous avons le temps » (p.77) et celle du Président Karzaï recevant le Président Sarkozy le 22 décembre 2007 ; « Il nous faut reconstruire le présent et le passé » (p.109).

Le dispositif culturel français apparaît dans la convention de 1922 qui crée la Délégation archéologique française dans ce pays (p.121). Cette DAFA fouille dans la région de Balkh (ancienne Bactres), rénove le Musée de Kaboul, forme des archéologues afghans et participe aux fouilles de Bamyan (p.122). En mai 2007, le livre Itinéraires afghans, des auteurs et des lieux évoque Gobineau, Malraux, Kessel, mais aussi Atiq Rahimi. On y lit : « Le cheminement dans des espaces d’une extraordinaire beauté y côtoie la révolte et la colère devant les souffrances, les bombardements, les niches vides de Bamyan (p.143). L’ambassadeur là aussi exerce sa « diplomatie de la peau », parcourant à pied Kaboul, le quartier hazara Dacht é Barchi (p.22) et se rendant avec beaucoup de risques jusqu’à la rive de l’Amou Daria, à Talaqan, Mazar-i-Chérif, Balkh, Maimana, Bamyan, Ghazni, Djalalabad, Hérat, dont il met en relief les particularités (p.177 à 184).

Deux observations dans le domaine religieux sont à méditer ; l’INA ayant conduit un projet de préservation du patrimoine audio-visuel afghan, des extraits d’archives restaurées furent projetés au Cinéma Ariana ; la vue de femmes en cheveux et mollets découverts des années 70 suscita un tapage dans les travées du fond où étaient les jeunes et gêna le public. Quant à la motivation afghane, elle serait une défense supposée de l’islam, les vierges du paradis, les bienfaits des dollars laissés aux misérables familles (p.91).

Côté humanitaire, le Père dominicain Serge de Beaurecueil, spécialiste du mystique Al Ansari, recueillit dans les années 70 les enfants des rues de Kaboul (p.149) ; Médecins du Monde, « French Doctors » sont présents depuis les années moudjahidine, développant dans la capitale un programme de réduction des risques des drogués (p.150).

Sur l’avenir de ce pays, « État fiable et des sociétés fortes » aujourd’hui réoccupé par les Taliban, l’auteur préconisait en avril 2007 devant la commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée Nationale : « Sans aller à une réconciliation avec les Talibans, il faut prendre en compte une partie importante de la population qui se reconnaît dans les chefs tribaux ou sont proches des taliban modérés » (p.82). Il rappelle aussi qu’en Afghanistan, on baigne dans un climat mortifère dont on ne sait plus où se situe sa cause et son résultat (p.90) et que les pratiques de criminalisation et de corruption, le poids des moudjahidine et des taliban, la tentation du départ, entravent l’élan d’une société civile (p.151). Une seule note d’espoir : la survie de l’Afghanistan doit pour beaucoup à la ténacité des femmes (p.70).

Un glossaire explicatif (p.195 à 201) et des repères bibliographiques (p.202 à 206) complètent les précieux renseignements collectés tout au long du livre par un observateur éclairé.