Démographie et émergence économique de l'Afrique subsaharienne

Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


Depuis des décennies, le retard considérable que les États africains ont pris en matière de développement tant économique qu’humain par rapport au continent asiatique fait l’objet d’analyses, non seulement politiques, mais aussi économiques, historiques et sociologiques. Quels sont donc les facteurs les plus pertinents susceptibles d’expliquer cette déconnexion des pays d’Afrique subsaharienne par rapport au reste du monde ? Pour bon nombre d’hommes politiques africains, la faute incomberait à la colonisation, voire à l’esclavage ; la plupart des économistes, quant à eux, considèrent que les politiques d’aide au développement n’étaient pas à la hauteur des enjeux. Pourtant l’APD allouée à l’Afrique subsaharienne s’élève à plus de 1000 Milliards de dollars depuis 1960, alors que le plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe de l’Ouest n’avait couté « que » 13 milliards de dollars (soit 145 milliards de 2017).

Il convient donc de chercher des modèles qui ont fait leurs preuves et individualiser les causes de ce retard. En 1960, le PIB de la Corée du Sud, qui sortait pourtant d’un conflit dévastateur était peu ou prou celui de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui le constat est sévère et la tentation du modèle asiatique, indépendamment des régimes politiques, est à prendre en compte par les chefs d’États africains. Les nombreux sommets Afrique/pays asiatiques ont commencé par les TICAD dont la première s’est tenue à Tokyo en 1993. Depuis, d’autres pays asiatiques ont emboité le pas au Japon, comme la Chine avec le FOCAC, puis les sommets Taiwan/ Afrique, Inde /Afrique et même Singapour/Afrique.

Au-delà de la recherche d’aide et de partenaires commerciaux, le but de ces grandes manifestations était, du moins il faut l’espérer, la recherche des clefs du succès des pays asiatiques en matière de développement. L’originalité et le courage de l’ouvrage de May et Guengant consiste en une analyse sans concession des raisons qui ont conduit l’Afrique subsaharienne à demeurer un nain économique, malgré les richesses immenses que recèlent les pays qui la composent.

L’avantage des études démographiques est leur (apparente) neutralité. Les deux auteurs mettent bien en évidence les principaux maux qui font obstacle à l’émergence des pays d’Afrique subsaharienne, grâce à l’analyse des données démographiques. L’ouvrage débute par un rappel historique de l’évolution démographique depuis la première guerre mondiale jusqu’à 2020. Puis, les projections de populations et les perspectives socio-économiques sont envisagées, ainsi que les dynamiques de population et le développement. Les auteurs font état de statistiques démographiques détaillées qui montrent bien que l’Afrique subsaharienne est loin d’atteindre la décroissance significative de sa natalité qui lui permettrait d’émerger. Or, comme il est évoqué dans ce livre, le déclin de la fécondité, la planification familiale et les droits reproductifs sont des sujets très sensibles en Afrique ; et ce, non seulement de la part des hommes vivant dans les campagnes, mais également des élites urbaines.

Comment, dans de telles conditions espérer capter un quelconque dividende démographique, sans heurter les mentalités locales qui se fondent sur des traditions anciennes ? L’exemple asiatique et plus spécifiquement d’Asie de l’Est semble le plus pertinent. Mais encore faut-il que les Africains évoluent rapidement en matière de natalité et que l’éducation permette aux femmes de s’autonomiser. Même si c’était le cas, la partie ne serait pas gagnée pour autant car : « …le dividende démographique africain provient davantage de la baisse des ratios de dépendance que d’un taux réduit d’accroissement naturel ».

Selon cette étude, le premier dividende démographique dépend de plusieurs facteurs : des politiques publiques adaptées, dont l’augmentation de la productivité des actifs, à la faveur de l’allongement de la durée de vie qui facilite l’épargne réalisée grâce à la réduction des dépenses de santé et d’éducation ; l’encouragement des institutions de populations, avec la création d’ « observatoires du dividende démographique » et enfin l’incitation des dirigeants politiques à passer de la position selon laquelle : « le développement est le meilleur contraceptif » à l’adhésion à la planification familiale.

Cependant, comme le soulignent les auteurs dans leur conclusion : « Dans un tel contexte, il y a un risque réel que les gouvernants d’ASS et leurs partenaires au développement concentrent tous leurs efforts sur la reprise économique immédiate, au détriment d’objectifs à plus long terme ». Comment les blâmer, lorsque l’on sait à quels périls ils sont souvent confrontés : dérèglement climatique, guerres civiles, « terrorisme », gestion des pandémies, ou encore intrusion de puissances extérieures au continent qui rompt l’équilibre déjà précaire de la plupart de ces pays, grâce à une « politique du chéquier » de plus en plus agressive.

Ce livre courageux a le mérite d’évoquer un sujet éminemment sensible en Afrique en se fondant sur des analyses elles-mêmes tirées de statistiques officielles, même si certaines d’entre elles peuvent être sujettes à caution. Il devrait être la bible de tous ceux qui, Africains ou non, essayent de trouver des solutions destinées à faire émerger tout ou partie des États du continent.