L'Iran et ses rivaux : entre nation et révolution

Auteur Clément Therme
Editeur Passés Composés
Date 2020
Pages 207
Sujets Relations extérieures
Iran

1945-....
Cote 63.074
Recension rédigée par Christian Lochon


Spécialiste du monde iranien, M.Clément Therme est l’auteur d’une thèse sur les relations russo-iraniennes révélant les contacts entre religieux musulmans chiites et chrétiens orthodoxes russes ; il est membre associé du CETOBAC à l’EHESS. Ce livre qu’il a dirigé présente les relations internationales de l’Iran depuis 1941 sous la plume de dix autres experts.

La République islamique en parlant directement aux populations sunnites ne peut que déplaire aux dirigeants sunnites, fragilisés par les printemps arabes (p.8) ; d’autre part, cet islam d’État idéologisant une religion chiite préconisant la tutelle du Juriste théologien, n’est pas acceptable aux sunnites (p.13) et d’ailleurs à une partie importante des chiites, étant une innovation du XVIIIe siècle. Les réseaux d’influence construits par Téhéran fonctionnent moins bien depuis les révoltes populaires en Irak et au Liban en 2019 (p.11). Quant aux jeunes citoyens iraniens, ils n’aspirent qu’à l’exil, rebutés par l’enseignement universitaire de l’histoire qui développe uniquement une théorie des complots entretenus par la prétendue complicité des minorités confessionnelles et ethniques iraniennes (sunnites, juifs, chrétiens, kurdes). 

L’Iran islamique est-il intégré dans son environnement régional ? Les pays voisins contestent à l’Iran la prétention anormale de parler au nom de l’ensemble des musulmans.

Le diplomate Louis Blin rappelle qu’il y eut un traité d’amitié saoudo-iranien en 1929. En 1970, l’Iran s’empara de trois îlots émiratiens, qui constituent désormais un contentieux entre les deux États (p.144). L’accord d’Alger en 1975 mit fin provisoirement à la lutte entre l’Irak et l’Iran (p.145). Néanmoins, l’Arabie « saoudite » depuis 1932 n’est pas uniquement wahhabite puisque le régime s’oppose plus aux soufis qu’aux chiites et que si 85% des Saoudiens sont anti-israéliens, 11% seulement sont anti-iraniens (p.149-151). M.Blin conclut que l’Iran est devenu expansionniste régional quand il n’en avait plus les moyens (p.156) et qu’il n’existe pas d’option militaire pour débloquer la situation du Golfe (p.160). L’Empire ottoman défenseur du sunnisme avant la Turquie, fit la paix avec l’Iran chiite en 1639. Les deux États ne s’affrontèrent  plus (p.96). C’est la situation récente de la Syrie, soutenue par l’Iran, qui a permis à Ankara de se replacer dans un axe anti-iranien (p.102), commente le diplomate Michel Duclos ; en tout cas, l’équilibre Turquie-Iran permet de conserver la stabilité régionale (p.36) à laquelle contribue Moscou devenu deus ex machina (p.7) depuis le retrait de Washington. Ennemis des Turcs, les Kurdes iraniens vivent dans un espace de contestation (p.81), souligne Massoud Sharifi (Université de Barcelone) ; ils ont subi de 1979 à 1990 des violences constantes de la part de l’armée nationale qui détruisit 384 villages ; toute demande d’autonomie était assimilée à une manœuvre « communiste » (p.88). Aujourd’hui encore, la moitié des prisonniers politiques en Iran sont kurdes (p.93). En ce qui concerne les trois républiques sud-caucasiennes, Hayk Martirossian (Université américaine d’Erevan) évoque la minorité chiite de Géorgie (p.68) mais c’est le port militaire de Batoumi récemment ouvert aux Occidentaux (p.70), et dont les infrastructures sont subventionnées par Washington, qui entraîne la méfiance de Téhéran. L’Azerbaïdjan, soutenu par Israël a une majorité chiite dont l’Iran formait les clercs mais la communauté sunnite, soutenue par la Turquie, s’agrandit et soutient le séparatisme azéri vis à vis de l’Iran (p.71). Il n’en est pas de même pour lArménie(p.78) qui bénéficie des nombreux touristes iraniens et d’échanges économiques. Les États-Unis ont ouvert à Erevan une ambassade tentaculaire (p.75) qui pourrait servir de poste de surveillance de l’Iran. Pour Élisabeth Marteu (Sciences Po. Paris), Israël qui fut lié à l’Iran impérial, vit son ambassade à Téhéran offerte aux Palestiniens en 1979 (p.112). La rivalité entre les deux pays vient de leur compétition dans la technologie nucléaire (p.115), ce qui a rapproché récemment Tel Aviv de Riyad. De 2002 à 2015, l’Iran ne cessa pas d’être en infraction de ses engagements internationaux dans ce domaine en reprenant le programme d’enrichissement (p.126-129). L’accord de Vienne en 2015 y mit fin jusqu’à sa dénonciation intempestive récente par Trump, d’où les nouvelles menaces actuelles (p.135).

Les grandes puissances du mondes’intéressent à l’Iran. A commencer par la Russie qui, dès 1828 au traité de Turkmanchaï annexe les territoires caucasiens, comme le rappelle Clément Therme. En 1907, une convention anglo-russe partage l’Iran, qui pourtant ménage son puissant voisin. En 1991, à la chute de l’U. R.S. S., Téhéran qui s’engage à ne pas exporter la révolution islamique en Centrasie ni au Nord Caucase. (p.56), deviendra partenaire de la Russie dans la lutte contre le djihadisme (p.16.). En 2019, le Président Rohani participe au sommet de l’Union Économique à laquelle il adhère pour trois ans. La Chine, comme le souligne Thierry Kellner (Université Libre de Bruxelles), est devenue à partir de 1985, le plus important acheteur de pétrole iranien, le plus grand fournisseur de technologies nucléaires en même temps qu’elle formait le personnel militaire et antiterroriste. Des sociétés chinoises ont participé à la construction, aux infrastructures, aux transports (p.44-48). Avec les États-Unis, très proches du régime du Shah jusqu’en 1979, la rupture est consommée par l’invasion de l’ambassade américaine à Téhéran cette année-là et la priorité donnée par Téhéran à son hostilité à Washington (p.21). Les sanctions récentes (2018) infligées à l’Iran par Washington en réplique touchent les produits pétroliers, les institutions financières nationales et étrangères comme le décrit Annick Cizel (Sorbonne Nouvelle). Pour l’ambassadeur François Nicollaud, l’Iran a réagi durement à la politique de soutien de la France à l’Irak en enlevant des otages au Liban et organisant des attentats à Paris (p.123). Aujourd’hui encore, deux chercheurs français sont emprisonnés à Téhéran.

En Afrique sahélienne, M.A. de Montclos (Peace Research Institute d’Oslo) montre que l’Iran a pris appui sur des communautés locales chiites, soit immigrées comme les Libanais du Sénégal ou des nationaux mais aussi sur des confréries soufies sunnites en prenant position contre l’Arabie Saoudite au Ghana, au Nigeria et contre Boko Haram (p 180-187). Élodie Brun (Université de Mexico) décrit les rapports cordiaux de deux États de l’Amérique latine, le Venezuela et Cuba, dont les Chefs d’État, Chavez et Castro, nouèrent des relations chaleureuses avec les présidents iraniens (p.167) tandis que l’Argentine exposée à deux attentats antisémites en accusait l’Iran et le Hezbollah (p.175).

Cet ouvrage qui montre la place réelle de l’Iran dans le monde nous apprend que ce pays n’est pas parvenu à réaliser le potentiel lié à sa position géographique exceptionnelle (p. 195). Erreur de gouvernance ? En tout cas, la récession de 9.5% et une inflation de 43% pour l’année 2019 fragilisent actuellement l’économie du pays (p.192).

On consultera avec intérêt pour chaque chapitre une bibliographie sélective et la biographie des auteurs (p.201-204).