Enseignement du français au Japon : enjeux et perspectives en contexte

Recension rédigée par Frédéric Girard


Le présent ouvrage qui est rédigé par un spécialiste de la linguistique et de la pédagogie des langues, de surcroît un excellent connaisseur de notre langue, se propose de dresser un état des lieux de l’enseignement du français au Japon. On constate depuis plusieurs décennies que le français, sa littérature et sa culture sont en déclin dans l’enseignement des grandes universités d’Etat et privées, en termes de nombre de postes titulaires. Tel est le cas de telle université privée, comme Waseda, qui avait une vingtaine de professeurs titulaires de français dans les années 1970 et dont les enseignants ne se comptent plus que sur les doigts de la main aujourd’hui. L’absence presque totale du français dans l’enseignement scolaire est un facteur qui aggrave sa position au Japon. Largement responsable en est la dérèglementation des normes pour la création et la gestion des universités, qui est intervenue en 1991 pour aboutir à une autogestion des établissements universitaires, jusque dans les universités d’Etat en 2004. Cependant, cet enseignement essaime également dans les provinces et recrute des professeurs étrangers titulaires, qui conservent leur nationalité, si bien qu’on observe un phénomène de prolifération sensible qui contrebalance une apparente déshérence. La donnée première au Japon est bien entendu l’omniprésence de l’anglais et la place importante accordée traditionnellement à l’allemand ainsi qu’aux langues asiatiques que sont le chinois ou le coréen, et plus récemment le mongol ainsi que les langues de l’Asie du Sud-Est ou du Proche-Orient.

 M.Ishikawa a été formé à Tokyo, en France, notamment à l’université Paris 3, et en Suisse, et a cherché à élaborer des outils d’analyse linguistiques sur le plan à la fois théorique et pratique, en échafaudant une méthodologie affinée et sophistiquée. Il opère dans l’espace francophone européen où il a pu observer des phénomènes de communication et de symbiose chez des sujets porteurs de langues différentes et amenés à se côtoyer de façon de plus en plus rapprochée et intense. Telles sont les notions de communication ou interaction exolingue, de «mondialocalisation», qui jouent dans des contextes soit homoglottes soit hétéroglottes, qui sont déterminants dans l’apprentissage de la langue. Il s’intéresse à la pédagogie des langues sur une échelle globale qui devient «macro-didactique». La place de la langue concernée sur la scène internationale, dans le milieu social du lieu d’enseignement, le rapport de l’enseignant au caractère «natif» de la langue, les règlementations, les politiques nationales, etc., joue un rôle primordial dans ses analyses. Il tient au plus haut point compte d’une mondialisation à caractère néo-libérale dans les transformations de cet enseignement au Japon, qui intervient en particulier à l’échelle du pays, de l’université ou de la classe, et prévient des risques d’une utilisation parfois intempestive de règles telles le CECR (Cadre européen commun de référence pour les langues).

 L’ouvrage se compose de trois parties : une première concerne les spécificités de l’enseignement du français auprès des Japonais. L’auteur souligne le caractère hétéroglotte du français au Japon, qui n’y est guère pratiqué si ce n’est sur des enseignes de restaurants, de cafés et autres salons de coiffure, avec une valence de langue de culture. Il donne tout au long de ses démonstrations de larges extraits de matériaux tirés des discours tenus dans les classes de français, et ordonnes les éléments dans des tableaux récapitulatifs fondés sur des statistiques. Il souligne le rôle de certaines idéologies véhiculées par des auteurs comme Jean-Jacques Rousseau qui, à une certaine époque, a été jugé pernicieux. On pourrait dire la même chose de philosophes comme Sartre et Camus.

 Une seconde partie traite de l’Enseignement du français langue étrangère au Japon dans la mondialisation. Tout en ayant rappelé le rôle d’excellence dont jouissait le français depuis la fin du XIXe siècle dans un Japon qui voulait se moderniser, l’auteur cherche à situer la didactique du français mise à mal depuis 1991 dans le contexte de la globalisation et de la domination écrasante de l’anglais. Une loi fondamentale sur l’éducation de 2006 a notamment permis de chercher à rehausser le niveau culturel des établissements universitaires afin de former des citoyens à part entière. Il note que le néo-libéralisme des universités n’est pas identique au libéralisme classique de Locke et Smith mais a pour arrière-fond un contrôle de l’Etat japonais qui situe les universités en dehors d’une compétitivité et d’une concurrence du «laisser-faire» et les régente selon ses propres règles (p. 124). C’est aux universités de décider si les langues font partie des matières nécessaires à la délivrance d’un diplôme. Les universités nationales puis départementales ont été déréglementées pour devenir autonomes en 2004 et 2005 respectivement, si bien que l’enseignement des langues, hormis l’anglais, s’est raréfié sur le plan quantitatif. Des rapports et règlements ont modifié cette situation, à partir du début du XXIe siècle, en préconisant d’associer l’apprentissage des langues et le plurilinguisme aux domaines spécialisés des jeunes diplômés. Néanmoins les résultats sont décevants pour le français en regard des normes nouvelles qui ont été édictées (p. 140). Contre la pensée unique qu’est une mondialisation avec une seule lingua franca véhiculaire, l’anglais, l’auteur préconise des projets audacieux avec d’autres pays comme le Canada, l’Australie ou le Brésil, afin de donner au français au Japon une perspective de «mondialocalisation» fondée sur une «coopération de particularismes» (p. 209).

 Une troisième partie est un addenda qui pose la question : qu’est-ce qu’un «savoir spécialisé ?» La question de l’intégration du français à des savoirs spécialisés préconisée par le Ministère de l’éducation est en effet au cœur de celle de l’avenir du français au Japon. Les écarts entre le niveau de langue de communication des sujets et celui des domaines de connaissance de ces mêmes sujets peuvent induire des problèmes de communication que l’auteur, qui s’est jusqu’à présent surtout penché sur les interactions de sujets linguistiques dans la seule langue courante, reconnaît devoir étudier à l’avenir.

L’étude comporte des annexes. Les deux premières sont des résumés des onze chapitres qui constituent l’ouvrage, et en donnent des aperçus utiles, en français puis en anglais : 1. Mots-clés et résumés; 2. Keywords and Abstracts; 3. Liste des travaux écrits principaux de l’auteur majoritairement en français, qui se monte à une soixantaine de titres principaux.

La postface de Daniel Coste problématise la question «Des Contextes aux concepts».

 S l’ouvrage est rédigé dans une langue claire, il faut avertir qu’une propension à l’usage de termes techniques pointus qui, mis les uns à la suite des autres de façon dense, risque de heurter un peu le lecteur non avisé. Un langage plus abordable n’aurait-il pas mieux fait comprendre les problématiques ainsi que leur portée au lecteur lambda ? Un point laissé de côté ici est que l’auteur ne mentionne que très peu l’apprentissage des langues classiques au Japon, tels le japonais classique «natif» et le chinois classique dès le collège – ils ont presque joué un rôle de sélection similaire aux mathématiques en Europe –, ou le sanskrit à l’université, qui sont des vecteurs de formation non négligeables. Il nous semble aussi qu’il n’est guère tenu compte de l’enseignement par correspondance qui joue un rôle d’importance : ce qui est appris par l’écrit s’imprime mieux dans la mémoire que le seul oral.