L'Algérie des sociétés savantes : leur contribution et leur héritage (1830-1962)

Auteur Jean-Yves Bertrand-Cadi
Editeur Geuthner
Date 2022
Pages 716
Sujets Sociétés savantes et instituts
Algérie

1830-1962
Cote 66.583
Recension rédigée par Jacques Frémeaux


Dans ce travail important, Yves-Bertrand-Cadi dont on a lu avec intérêt les deux ouvrages précédents[1] s’emploie à la double tâche de répertorier les sociétés savantes apparues en Algérie depuis 1a conquête, et d’en évaluer les apports et les limites. Certaines de ces sociétés sont bien connues des historiens comme la Société historique algérienne qui publia depuis 1856 la remarquable Revue africaine. D’autres sont ignorées au profit de leurs publications, comme la Société des études politiques et sociales, sous le patronage de laquelle parut la passionnante Revue algérienne et tunisienne de législation et de jurisprudence. Beaucoup méritent d’être retrouvées, et leurs publications mieux exploitées, par exemple le Bulletin de la Société d’agriculture. D’autres enfin témoignent de la vie culturelle et artistique. L’apport, sans le comparer avec celui des institutions publiques comme l’Université d’Alger ou l’Institut Pasteur, est considérable, par d’innombrables contributions à l’histoire, à l’archéologie, à la médecine, aux sciences dites autrefois naturelles, mais aussi à la « mise en valeur » agricole. L’auteur, à travers de nombreuses notices biographiques, voire des études plus développées, évoque à juste titre des personnalités comme le docteur Alphonse Bertherand, l’ethnologue Émile Masqueray, le juriste Émile Larcher et le linguiste Mohammed Ben Cheneb. 

Yves-Bertrand Cadi ne se contente pas de reconstituer un savoir. Il en fait aussi la critique, en notant que ces sociétés n’avaient pas, seulement, comme en France, l’objet de promouvoir les progrès intellectuels, scientifiques et techniques ; elles devaient aussi contribuer au lustre de l’entreprise coloniale, caractère particulier qui n’est pas sans faire peser de nos jours des soupçons sur l’entreprise. Même s’il serait à la fois injuste et contre-productif de discréditer l’acquis de ce grand ensemble de chercheurs de bonne volonté, on doit néanmoins leur reprocher de s’être bornés à exercer leurs activités dans le cadre de l’Algérie française, en réfléchissant très rarement à son avenir. Faut-il attribuer ce conservatisme au refus de regarder au-delà des institutions coloniales, ou plutôt à la timidité qui presque partout est un travers des érudits ? De toute façon, la sous-représentation des musulmans dans ces sociétés savantes (dans lesquelles, pourtant, ils furent souvent bien présents), devait interdire à celles-ci de survivre à l’indépendance de l’Algérie.

L’absence d’index rend difficile l’utilisation de ce livre monumental comme instrument de travail, et on peut reprocher à un éditeur d’ouvrages érudits comme Geuthner de s’être dispensé de cette exigence.

Au total, l’ouvrage constitue un effort très réussi pour assumer l’ensemble de l’histoire de l’Algérie coloniale à partir d’une lecture de tout un pan de son histoire culturelle, et en tirer les fondements d’une amitié fondée sur la représentation lucide d’un passé qui n’autorise pas l’indifférence, et devrait aider à écarter le ressentiment.

Il faut rendre hommage à Yves Bertrand-Cadi pour cette exploration dans un secteur peu connu, et espérer que son exemple sera suivi.


[1] Le Colonel Chérif Cadi : Serviteur de l'Islam et de la République, L’Harmattan, 2004 ; Le colonel Ibrahim Depui. Le pèlerin de la mer Rouge (1878-1947), L’Harmattan, 2012.