Itin'errance asiatique. Récit d'une circonvolution par voie de terre autour du continent asiatique

Auteur Matthieu Allereau
Editeur Matthieu Allereau
Date 2021
Pages 404
Sujets Asie
Voyages
Cote 65.612
Recension rédigée par Yves Boulvert


            Dans l’introduction de ce copieux ouvrage, l’auteur se dévoile discrètement. Jeune ingénieur de l’ICAM de Nantes, sa région natale, il se dit très attiré par l’Inde et le Népal où son père avait voyagé. En 2001, il y avait passé trois mois. En 2008, après quinze mois en CDD à Barcelone, il décide d’y repartir par ses propres moyens, d’abord en camion- stop via Varsovie et Vilnius en Lituanie, puis en train vers Saint-Pétersbourg et Moscou où il est logé grâce à un site Internet d’hébergement (« Hospitality Club ») chez « les amis de mes amis ».

            Pour la génération d’avant 68, moins coutumière de l’aventure, il est toujours étonnant de voir combien les jeunes actuels, diplômés ou non, n’hésitent pas à partir pour un ou deux ans, au fil des circonstances, avec pour viatique l’anglais, une bonne dose de curiosité et beaucoup d’énergie.

            Le transsibérien est un dortoir ambulant qui, au terme de cinq jours, conduit ce jeune globe-trotter à Irkoutsk, le 19 juin.  Le transmongolien prend la relève et lui permet de découvrir Oulan-Bator et les Khongoryn Els, dunes de sable. En Chine, « pays aux sublimes noodles et vertes rizières », il roule plein sud vers Xi’an (Shaanxi), Guangzhou (Canton), Guiyang (Guizhou), Kunming (Yunnan). Le Laos lui paraît un havre de paix agréable ; la Chine y prépare sa mainmise, ouvrant routes et ponts en échange du bois qui lui fait défaut. Rare observation sur le milieu naturel : les montagnes ou plutôt reliefs karstiques autour de Vang Vieng sont mentionnés.

            Au fil du Mékong en aval de Vientiane, il découvre Paksé (ou Pakxé) et « Si Phan Don », la région aux quatre mille îles et belles chutes d’eau sur la frontière cambodgienne. Au Cambodge, Phnom-Penh, la capitale, lui paraît surpeuplée, pauvre et polluée, fréquentée néanmoins par les Occidentaux. C’est en moto-taxi qu’il poursuit son périple au Vietnam, sensible à la magie infinie du delta. Ayant accompli son devoir de mémoire à Saïgon (cathédrale, musée de la guerre), il remonte en bus au nord vers Hué, la baie d’Ha Long (Along), Dien Bien Phu dont il avoue « n’avoir aucune idée où c’était », revenant au Laos par la plaine des Jarres, parsemée de bombes antipersonnel qui continuent à faire des victimes. Enfin, par le Siam (Thaïlande), il atteint Singapour ayant parcouru 11 000 kilomètres en 9 mois de route.

            Ce long périple le conduit à formuler ses motivations profondes : « Je voyage pour rencontrer les habitants du pays que je visite ». Rencontre qui s’effectue certes par le truchement de la langue quand l’anglais international sert de langue véhiculaire mais aussi par l’observation in situ des us et coutumes des hôtes qui l’accueillent et des populations locales qu’il découvre.

            Désireux de revenir en Inde, il ne peut le faire par la route, ne pouvant pénétrer ni au Tibet ni en Birmanie (Myanmar). Il doit retraverser la Chine par le Sichuan, le Sinkiang, pays des Ouïgours, et descendre le Karakorum pour atteindre le Pakistan. L’Inde espérée est au bout de ce long itinéraire. Vaste pays qu’il revoit pour la deuxième fois, source pour lui de réflexions quant aux pratiques religieuses. Il se fait l’écho de propos glanés au cours de ses rencontres : l’hindouisme par « sa complexité inaccessible entretient l’ignorance d’un peuple … », tandis que « les Musulmans peuvent se raccrocher à une foi noble, pratique et juste » ou, lors d’une autre conversation : « L’islam est la meilleure religion, le Saint Coran, le livre le plus saint. Alors pourquoi les Européens n’accueillent-ils pas l’Islam plus largement ? ».

            Après avoir sillonné l’Inde, parvenu au Népal, il se décide en octobre 2008 à acheter un vélo pour regagner Nantes, en traversant de nouveau l’Inde, le Pakistan, le Baloutchistan, l’Iran. Inconscience de la jeunesse qui prend des risques : il « voyage sur le toit d’un pick-up à l’air libre … grande sensation de liberté », il subit deux accidents, l’un en roulant, pour s’abriter d’un vent violent, trop près de l’arrière d’un camion, l’autre en heurtant de plein fouet une moto. Une fracture du coude l’obligera à rester un mois (avril 2009) en clinique à Istanbul. Son pari : « boucler le tour de l’Asie sans prendre un seul avion », il l’a pleinement réussi. 

            Mais il lui reste du chemin à parcourir. Il lui faut traverser la Bulgarie, l’Albanie, la Croatie, l’Italie qu’il « ne connaît pas du tout », le col du Simplon, la Suisse romande et enfin la France : « Je ne peux vraiment pas me vanter de bien connaître mon pays ». Désormais, « une piste cyclable, latérale, parallèle à la Loire, relie Saint-Brevin-les-Pins à Constantza en Roumanie ».

Cet ouvrage est agrémenté de belles photographies-couleurs qui mériteraient un album pour elles seules. Il se lit aisément même si la graphie des noms de lieux n’est pas toujours facile à identifier. L’on éprouve un réel plaisir à retrouver des lieux connus, à comparer ses propres souvenirs avec les observations du globe-trotter, à constater des changements qui témoignent de vicissitudes survenues au fil du temps tant du fait des hommes que d’aléas imprévisibles, telle la vieille ville de Kachgar grandement bouleversée par la politique de sinisation. Une aussi longue absence, pourvoyeuse de tant de sensations, d’observations, et de souvenirs et nourrie de tant de rencontres ne peut qu’enrichir la vie ordinaire de l’après-voyage.