Rencontres impériales : l'Asie et la France, le "moment Second Empire"

Recension rédigée par Jacques Frémeaux


Cet important ouvrage est le résultat d’une longue et soigneuse préparation entreprise dès 2019 par les Professeurs Dominique Barjot (Sorbonne Université et Remnin University of China) et Lyu Yimin (Zhèjiāng University de Hángzhōu), dans le cadre du Congrès international des Sciences historiques. Il a pour but de synthétiser l’ouverture vers l’Asie et spécialement vers l’Extrême-Orient de la France du Second Empire, à travers trente-trois contributions, dues à des spécialistes surtout français, mais aussi chinois. Il n’est pas question ici de reprendre l’ensemble du livre dont on trouvera un excellent résumé dans la préface de Dominique Barjot et Jean-François Klein mais simplement de donner une idée de la variété des points de vue abordés, tout au long des pages d’un livre qui n’en conserve pas moins une réelle unité à laquelle contribue un précieux index.

Cette ouverture française vers l’Asie fut d’abord le résultat d’une prospérité économique sans doute rare dans l’histoire nationale, appuyée sur des compétences techniques en pointe pour l’époque, aussi bien en matière de procédures financières que de techniques industrielles et d’ingéniosité commerciale. Napoléon III, dont on sait l’intérêt qu’il porta aux questions économiques, fut constamment disposé à appuyer l’entreprise. L’idéologie saint-simonienne constitua un moteur puissant, mais aussi la présence d’un mouvement de missions catholiques particulièrement dynamique. À un tout autre niveau se manifesta, au sein des aristocraties européennes, un vif attrait pour les objets d’Extrême-Orient, attesté par la collection personnelle de l’impératrice Eugénie.

Les relations furent facilitées par l’ouverture de l’isthme de Suez, mais aussi l’amélioration des ports français, comme celui de Rochefort, et la création de compagnies maritimes, particulièrement les Messageries Impériales, plus tard Messageries Maritimes. L’expansion reposa sur un instrument de projection remarquable, sous l’impulsion des ministres de la Marine Prosper de Chasseloup-Laubat, puis Charles Rigault de Genouilly. Non seulement la flotte fut largement rénovée, les troupes de marine furent mieux préparées aux campagnes outre-mer par les progrès (relatifs) de l’hygiène. On ne saurait oublier l’activité du corps diplomatique, illustré par des ambassadeurs comme Léon Roches au Japon. Les responsables français eurent largement recours, pour réaliser ce programme, aux comptoirs contrôlés par d’autres puissances européennes : l’Angleterre avec Hong-Kong, la Hollande avec Batavia, l’Espagne avec les Philippines. Des villes comme Lyon pour les soieries, Bordeaux pour les maisons commerciales (ici la maison Denis Frères), furent, en même temps que des agents actifs, les bénéficiaires de cette expansion, à laquelle participèrent des milieux aujourd’hui bien oubliés, comme les baleiniers havrais opérant sur les côtes sibériennes et japonaises. On vit aussi s’esquisser un début d’organisation d’un marché international de la main d’œuvre, avec un essai d’entente pour réguler l’émigration chinoise. Cette politique se manifesta dans l’ensemble du continent asiatique, depuis les comptoirs de l’Inde jusqu’au Japon.

L’expansion fut loin d’être pacifique. Bien au contraire, la force fut déployée en plusieurs occasions, et d’abord contre la Chine, où la France intervint à deux reprises. Si les opérations de 1853-1854 à Shangaï sont peu connues, la seconde guerre de l’opium (1858-1860), avec l’expédition de Pékin, menée conjointement avec les Anglais, est demeurée dans les annales, marquée par le pillage du Palais d’Été. Des expéditions furent menées aussi en Annam, avec des succès divers (prise de Tourane/Da Nang, 1858-1860). En revanche, une tentative contre la Corée fut un échec.

De cette activité ne résulta pas une extension territoriale importante. Le gouvernement impérial se borna à l’occupation de la Cochinchine (où les marins organisèrent un Service des Affaires indigènes trop méconnu, comparable aux Bureaux arabes d’Algérie) et au protectorat sur le Cambodge. Les relations avec le Siam et les royaumes birmans s’avérèrent de moindre portée. En revanche, la période vit s’établir avec la Chine et le Japon une coopération militaire remarquable, avec la construction de l’arsenal chinois de Fou-Tchéou (1866-1869), dirigée par l’ingénieur Prosper-Marie Giquel et la première modernisation de l’armée japonaise grâce aux bonnes relations avec le régime shogunal, puis impérial. Évidemment, cette authentique réussite du Second Empire en Asie ne peut faire oublier une gestion désastreuse de l’équilibre européen qui aboutit à la défaite de 1870 dont la France ne devait jamais se relever totalement. Mais on reconnaîtra volontiers qu’il est très regrettable que les dirigeants de la IIIe République aient remplacé par une politique purement impérialiste cette politique d’influence fondée prioritairement sur le commerce et la technique.

On ne peut que recommander la lecture de ce livre qui représente une véritable somme sur le sujet et donne à réfléchir sur un passé trop méconnu. Il faut remercier les directeurs, Dominique Barjot et Jean-François Klein, d’avoir mené à bien ce projet, et d’avoir su réunir une brillante équipe de contributeurs. Ce livre fait certainement honneur à l’Académie des Sciences d’outre-mer, qui a été associée dès le début à sa conception. Il complète heureusement l’ouvrage L’Empire libéral. Essai d’histoire globale, également publié sous l’égide de la même Académie[1].                                                                                        

 


[1] Anceau (Éric) et Barjot (Dominique), dir., L’Empire libéral. Essai d’histoire globale, SPM, 2021, p. 377 p., index, 24 cm, CR dans Mondes et Cultures.