The signs of which times ? : chronological and palaeoenvironmental issues in the rock art of Northern Africa : international colloquium, Brussels, 3-5 june 2010

Recension rédigée par Colette Roubet


Les récentes découvertes d’art rupestre nord-africain s’accompagnent de mises au point chronologiques et environnementales permettant de mieux les contextualiser. Dix-sept contributions couvrent un territoire s’étendant de la Méditerranée méridionale au Niger, et de l’Atlantique saharien à la mer Rouge. Toutes résultent de nouveaux travaux de terrain. Ces reconstitutions de répertoires créatifs originels sont régionales et diachroniques ; elles s’inscrivent dans des cadres ébauchés avec des laboratoires spécialisés et des collaborations euro-africaines, multidisciplinaires. À la question posée par ce colloque international, placé sous le patronage de l’Académie royale des sciences d’outre-mer et de sa secrétaire perpétuelle d’alors, Madame Danielle Swinne, « De qui et de quand sont ces traces d’art rupestre ? » Ces contributions répondent avec prudence en invoquant des temps historiques, d’autres préhistoriques de l’Holocène, voire plus anciens encore, qu’on ne s’aventurait pas à situer auparavant en Égypte, ni dans le Pléistocène. Voici donc une nouveauté majeure apportée par une équipe de scientifiques belges, dirigée par Dirk Huyge, co-organisateur de ce colloque.

Dans l’ouest africain atlantique, si aride aujourd’hui, en zone saharienne mitoyenne des piémonts atlasiques marocains et des régions septentrionales de la Mauritanie, dans les montagnes du Zemmour, Joaquim Soler i Subils, fait connaître un ensemble pariétal peint et gravé, d’importance écologique et comportementale, pour cet Holocène local. Alors que sur ce littoral les travaux paléo-environnementaux et climatiques de notre collègue Nicole
Petit-Maire et de ses collaborateurs avaient déjà révélé de nombreuses inhumations et des installations temporaires de pêcheurs, du type anthropique Méchtoïde, datées de l’Holocène moyen et final, voici que dans le Zemmour voisin, des représentations rupestres révèlent l’existence de pasteurs de bovins contemporains. Un lien serait-il à établir ? Les auteurs ne l’envisagent pas. Le contexte de savane arborée et de points d’eau temporaires que suggèrent ces représentations de bovins, éléphants, girafes, rhinocéros, autruches et caprins, est antérieur à l’arrivée du dromadaire et du cheval. Privé de résidus organiques datables, ce patrimoine est présenté sur la base d’analyses stylistiques.

Mais on ne peut le dissocier de celui du Maroc atlasique méridional. Les premières données chronologiques directes (14C par AMS) livrées par l’équipe Maroco-Italienne que dirige Ahmed Skounti, concernent les peintures du Dj. Bani (site d’Ifran-n-Taska). Elles confirment la présence de pasteurs durant l’Holocène moyen et final. Des prélèvements de pigments ont été analysés (fer, calcium, magnésium). La séquence chrono-stylistique conforte des rapprochements avec l’Atlas saharien algérien et le Zemmour, insérés dans cet espace atlantico-atlasique daté. On rappellera la représentation dans le Haut Atlas marocain (Oukaïmedden) d’armes métalliques gravées (hallebardes), témoins majeurs d’un Âge du Bronze pastoral (II mill. BC), absent des territoires voisins cités.

L’art rupestre des massifs sahariens de l’Algérie, pourtant connu, reste à reconsidérer en s’appuyant sur de nouveaux sites. Ce constat sévère s’impose ici. En effet, les peintures si célèbres du Tassili n’Ajjer ont toutes subi des traitements si agressifs qu’elles s’en trouvent désormais fragilisées. Des altérations anthropique et climatique ont fait disparaître, en quatre décennies, de fragiles couches peintes. Des graffitis et des écailles ont ruiné certains témoignages. Malika Hachid conduisant pour le Centre d’Alger (CNRPAH) une équipe multidisciplinaire sur les sites tassiliens jadis relevés mais endommagés par Henri Lhote, n’a pas pu tirer de prélèvements ciblés les informations attendues, en raison de l’absence voire de la disparition d’éléments organiques. Ne sont datés que les dépôts d’occupations plaqués aux parois ornées (abris du Grand Dieu à Séfar, et de Tan Zumaïtak). Si le style bovidien, reste le plus sûr témoin d’un épisode de l’Holocène moyen et d’un comportement pastoral typique, qu’en est-il de ceux qui le précédèrent, attestés pour certains par des Têtes Rondes ? D’autres travaux y répondront lorsque la sécurité reviendra dans la région.

Le territoire sahélien du Mali et du Niger servant de trait d’union entre les régions sub-sahariennes occidentales et orientales, a participé durant l’Holocène à la mobilité et la circulation sur de longues distances des faunes et des hommes, des objets, des idées et des biens de prestige. La céramique a été très tôt reconnue (Xe millénaire BC) dans les dépôts de pêcheurs-chasseurs, installés sur les berges lagunaires et les rives du Niger. Ces premiers récipients sont de création typiquement africaine, étrangers à toute influence proche orientale et inconnus à cette époque-là en Méditerranée et en Afrique du Nord. Aussi s’attendrait-on à ce que des représentations pariétales de l’Adrar des Iforas, ou d’ailleurs, les reproduisent, ce n’est pas le cas. Les figurations animales et humaines s’accompagnent de signes abstraits, étudiés par Christian Dupuy. Privées de repères radiométriques, ces représentations sont stylistiquement rattachées à l’Holocène moyen à final (époques pastorale naturaliste, sans arme métallique, enfin historique et schématique avec armes, chevaux et dromadaires).

Dans cet ouvrage, le territoire libyen fait l’objet de quatre contributions. Le lecteur peut suivre les résultats de deux secteurs clés, situés à l’ouest pour le Fezzan : (Messak- plateau, versants, wadis) et au sud-est pour le Djebel Ouénat presque voisin du Gilf Kébir égyptien. Cette perception spatiale et culturelle exige d’utiles connaissances géographiques pour citer la littérature scientifique. Les travaux de Maria Guagnin dans le wadi Al-Hayat mettent en synergie les résultats paléo-environnementaux, les données topographiques et éthologiques des animaux représentés. Les cartes de distribution des sites fixent ces informations synthétiques. Les illustrations établies par A. et A. Van Albada sur le plateau du Messak voisin sont d’un grand intérêt (Fig. 2 à 38) et d’une bonne qualité quoique privées d’échelle. Les thèmes gravés et les altérations des parois (corrasion) sont le résultat d’observations pertinentes, ininterrompues et étendues, qu’il faut ici saluer. La carte (p. 168) présente un impressionnant semis de stations visitées, relevées, étudiées, dans plus d’une quarantaine de vallées. Si les données indirectes paléo-environnementales concordent avec le cadre chrono-climatique de l’Acacus tassilien voisin, des repères chronologiques manquent.

            Et pourtant, lorsqu’ils existent « a convincing chronology is not yet available » déclare Andrea Zerboni, au terme de ses recherches tassiliennes, et des représentations datées (Fig. 9, 14C AMS). Ces repères, apparemment satisfaisants, ne concorderaient pas avec les données archéologiques, ils ne seraient pas synchrones des créations pariétales, mais au contraire postérieurs, et révélateurs de changements climatiques locaux et régionaux, intervenus postérieurement à leur création (vernis désertique et autres constats taphonomiques), restant à inclure dans la discussion générale, en tenant compte des conditions topographiques des sites.

            Dans les confins orientaux libyens occupés par les massifs d’Arkenu, Kissu et d’Ouénat -ce dernier ayant été prospecté par mon collègue et ami Francis Van Noten, co-organisateur de ce colloque, puis par d’autres chercheurs-, Andràs Zboray a effectué de minutieuses observations conduisant à des révisions stylistiques du domaine pictural. S’appuyant sur ses multiples relevés (Fig. 1-27 sans échelle) (deux catalogues ayant déjà été publiés), il tire des caractéristiques classiques (superpositions, altérations, attributs) de près d’un millier sites, -autre exemple de recherches systématiques à souligner. Ses résultats aboutissent à une perception diachronique d’horizons culturels distincts, certains antérieurs à la domestication et à l’élevage, d’autres postérieurs, ainsi qu’à une caractérisation des styles, échappant à l’imprécision terminologique née de l’usage indifférencié des termes culture et style.

Les représentations peintes d’Ouénat (massif granitique) s’inscrivent dans des contextes suivis sur une longue période. L’auteur signale plusieurs cas de superpositions. Différents styles ont été caractérisés et fondés sur des données  métriques, morphologiques, sur la miniaturisation, le contour ou le remplissage des sujets peints, sur la présence ou l’absence d’attributs, d’attitudes, d’objets de parure, sur le traitement du pelage animal, etc. Des rapprochements ont été établis entre certaines peintures de Karkur Tahl d’Ouénat et d’autres de wadi Abd el Melik de Gilf Kébir, par exemple. L’abri des nageurs du wadi Stora, du Gilf Kébir, sans animaux domestique peint, conserve son mystère : « Signs of which times ? » est bien la question posée aux participants de ce colloque. Les illustrations (privées d’échelle) sont difficiles à apprécier lorsque s’impose la miniaturisation (Fig. 15 et 16).

Le cas particulier du wadi Sura (ou Sora ailleurs) situé au sud-ouest du Gilf Kébir en territoire égyptien, est exposé par Frank Förster, Heïko Riemer et Rudolph Kuper. Cette région sera dans l’avenir l’une des plus exaltantes à découvrir à travers leurs travaux. Dans un territoire peu exploré au siècle dernier, il est stimulant de faire face en 2002 à des milliers de peintures oubliées. Conservées en bon état (Fig. 4-6 sans échelle), dans un contexte général à reconstruire, des paysages jadis peuplés vont resurgir et s’animer. Ces données fondamentales seront significatives de conditions de vie propices au développement et aux comportements animaux et humains, certains pouvant être antérieurs à l’époque pastorale[2]. Retenons que l’abri des nageurs, signalé en 1933 et la nouvelle grotte des bêtes, portent ce projet qui vient de commencer.

Sur le territoire égyptien que ce colloque met en valeur avec six communications, la plus ancienne période évoquée remonte presque au vingtième millénaire BC avec « Les premiers témoignages d’un âge rupestre pléistocène en Afrique du Nord : confirmation des pétroglyphes de Qurta (Égypte) par datation OSL de leur couverture sédimentaire». Un art figuratif animalier est révélé sur la rive droite du Nil, au sud est d’Edfou, gravé sur des grès nubiens, perchés à 35-45 m au dessus d’un Nil, jadis sauvage. Plusieurs localités ont été reconnues autour de Qurta (QI ; QII ; QIII) dès 2007, par une équipe multidisciplinaire conduite par D. Huyge. Cette contribution rattache ces œuvres gravées (bovidés, oiseaux, hippopotames, gazelles, poissons, et antilope bubale) au Paléolithique supérieur calé entre 19 000 et 18 000 cal. BP. Mais à quel faciès culturel sont-elles attribuables?

À 10 km au Nord d’Assouan, sur la rive droite du Nil, un récent projet archéologique centré sur Khor Abu Subeira, South 1 est consacré aux représentations rupestres contemporaines des dernières périodes préhistoriques, prédynastiques. Laureen Lippielo et Maria Gatto exposent leurs résultats situés entre 5 000-3 000 BC. Les données rupestres se rattachent à plusieurs contextes archéologiques. La variabilité des représentations (bateaux, personnages, animaux) et leur interprétation à l’intérieur de connaissances déjà acquises sur les environnements locaux et les fluctuations climatiques, conduisent à reconnaître un déroulement ininterrompu d’étapes successives. Peu après les deniers épisodes de chasseurs néolithiques, un système socio-politique s’est installé ayant entraîné une ritualisation de la chasse. Le wadi serait alors devenu un espace réservé. Ces auteurs placent ces manifestations au tout début de l’époque dynastique, à l’origine de la formation de la culture égyptienne.

Non loin d’Assouan le site de Nag el-Hamdulab permet à Stan Hendrickx et à son équipe d’étendre les recherches sur cette période dynastique initiale. Les données picturales présentent des processions de bateaux, des scènes de victoires militaires et des chasses. Leur précision graphique, l’aspect hautement signifiant des détails, permettent des identifications et des comparaisons avec de nombreux objets similaires conservés dans les collections du Musée du Caire. L’image d’un roi anonyme portant une couronne blanche apparaît pour la première fois en contexte culturel précis, traité par des artistes-spécialistes. Rien encore ne permet de dire si cet art résulte d’un schéma narratif antérieurement élaboré, ou bien d’une représentation née par additions successives ; ce sont là des interrogations d’historiens chanceux, disposant d’un riche appareil documentaire, faisant défaut aux préhistoriens.

Hiérakonpolis, près d’Edfou en Haute Égypte s’inscrit dans la même fourchette chronologique capitale, si mal documentée ailleurs en Afrique du nord. Cette ultime période prédynastique n’avait encore jamais été appréhendée par le biais de représentations rupestres. Ce domaine était resté marginal, mais avec Fred Hardtke le lecteur prend une fois encore la juste mesure de son importance pour les historiens aussi. À Hiérakonpolis, quatre sites localisés à l’intérieur de l’espace consacré aux activités quotidiennes et aux cimetières voisins, conservent des blocs gréseux ornés sur les berges du wadi Abu Suffian. On y a relevé des signes abstraits, des personnages stylisés, des bateaux et des animaux. L’identification de bovins, d’ânes, d’hippopotames pose des questions. Que représentent ces dalles ? Pourraient-elles avoir servi d’abris de fortune, quoique éloignés de points d’eau et non reliés à la vie active ? S’agirait-il d’espaces en relation avec le cimetière voisin des élites locales ? Aucune preuve convaincante n’a été apportée, pas même le sacrifice animal. Faudrait-il envisager un rituel spécial, ou une autre signification symbolique ?

            La recension de cet ouvrage permet de remercier et d’encourager la nouvelle génération de chercheurs africanistes, qui fait connaître d’autres patrimoines fragiles, à ciel ouvert, peints ou/et gravés, climatiquement éprouvés. Inconnus ou non, vandalisés parfois, ce sont d’inestimables témoins de la fragilité de notre condition, éparpillés sur une vaste région dénudée de l’Afrique nord-équatoriale impossible à protéger, et plus encore, déconnectés des préoccupations présentes des populations locales très tourmentées.

                



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