Comme le fleuve, la vérité se perd dans le désert : faire de la recherche dans les Afriques ...

Recension rédigée par Yves Boulvert


        Le titre de cet essai intrigue. D’abord un aphorisme qui oriente vers le continent africain ou plutôt « les Afriques » que l’emploi du pluriel diversifie, avec l’aveu d’une quête, celle de la « la vérité » qui« se perd comme le fleuve dans le désert », puis l’annonce du thème « faire de la recherche » et du propos : comment concilier « recherche et décolonisation ? ».

            Une deuxième interrogation se pose d’emblée : pourquoi l’auteur prend-il le pseudonyme de Basile Costal qui figurera sous les initiales B. C. ? Et pourquoi masquer les sigles des organismes authentiques et connus sous des pseudonymes ? Un avertissement [p.12]explicite ce choix propre à éviter les controverses tant il est vrai que l’adoption d’un sigle n'est pas neutre.  

Le parcours de B. est retracé au fil d’une chronologie contextualisée et illustrative de thématiques qui font les têtes de chapitres. Il est sinon tout à fait exceptionnel, du moins inhabituel. Issu en 1942 de la petite paysannerie béarnaise, élève boursier et méritant, il reçut une formation en menuiserie de 12 à 16 ans, puis apprit le métier d’instituteur de 16 à 20 ans, et étudia la géographie à l’Université de Bordeaux de 20 à 24 ans. En dépit de son hypermyopie, il fut recruté à 25 ans en tant qu’élève-chercheur et envoyé au Cameroun Occidental anglophone pour préparer un atlas régional.

Suite à la nationalisation de l’ORSTOM au Cameroun, il fut chargé d’animer le programme sciences humaines sans abandonner son travail de terrain au sein de l’Office Camerounais de Recherche. Il intégra ensuite le Centre de Géographie tropicale de Talence-Bordeaux, puis en 1984, créa à l’ORSTOM, l’Unité de Recherche : « Maîtrise de la Sécurité alimentaire ». Il écrit alors : « Les géographes et leurs collègues pédologues brodaient sur la latéritisation catastrophique des sols …, l’infertilité aggravée par les feux de brousse annuels. Les terres étaient exploitées avec des outils rudimentaires … L’afro-pessimisme régnait en maître … « L’Afrique noire était mal partie … » [p.71].L’école n’y apprenait pas des savoirs pratiques. La fécondité y était élevée en raison de la polygamie et de l’absence de contraception ».

B. dépassa « l’inventaire tropical » qui - méprisé par certains - demeurait inachevé : on le voit en cartographie. Il fut conduit à s’interroger sur les problèmes de développement. Avant 1990, la valorisation de la recherche de terrain était difficile si bien que les publications paraissaient dans la littérature grise ou dans des revues internes. Après 1990, avec l’arrivée de l’informatique, et l’insécurité s’étendant, la recherche théorique et spécialisée triompha avec plus de publications internationalement validées. Pour retrouver une liberté de publier suivant ses orientations, il prit sa retraite en 2004. Devenu directeur de recherche, B. put visiter dans la zone intertropicale divers projets de développement : lieux de pouvoir britanniques, vallée du Sénégal, Office du Niger … À Paris, il fit des cours à l’IEDES (Université de Paris 1) sur les leçons à tirer des expériences et des politiques de développement agroalimentaires.

B. consacre un chapitre à la vie des chercheurs expatriés. Ainsi une expatriation ne pouvait-elle être vécue que si l’épouse acceptait de s’expatrier elle-même, situation de plus en plus rare après 1968, lorsque la conjointe avait déjà un métier ou un poste de travail. Outre-mer, les femmes des expatriés s’ennuyaient. « On cultivait l’entre-soi ». La convivialité s’exprimait dans des invitations fréquentes de collègues ou de personnes en mission : « Vivant entre eux, sans grande prise avec le pays réel, les Blancs expatriés des années 70 menaient une vie en apesanteur … », ressentant « un sentiment de passager clandestin partout, ni totalement étranger, ni pleinement intégré… ». Fonctionnaire, il fallait respecter le devoir de réserve. Les Françaises, mariées à des Camerounais, vivaient entre deux mondes aussi intolérants l’un que l’autre. L’émancipation féminine était une des clés du développement du continent subsaharien : « femmes exploitées, excisées, bêtes de somme souvent … ».

De 1969 à 2004, B. s’intéressa au développement, dénonçant l’exploitation coloniale et les errements politiques après l’indépendance, estimant que les problématiques du climat, de l’enclavement ou les difficultés d’exploitation de certaines ressources naturelles devaient être finement étudiées. La recherche médicale polarisée sur les maladies infectieuses fut remise en question par le VIH Sida et plus tard par la COVID-19.

Dans les années 1980, 60% des chercheurs ORSTOM étaient expatriés, soit 800 chercheurs, appartenant à 30 disciplines, affectés dans 40 pays. En 2008, le monde avait changé : moins d’expatriations, cessions des centres aux autorités locales, siège transféré à Marseille, chercheurs dispersés dans les Universités … En 2019, l’expatriation ne concernait plus que 22 % des scientifiques IRD.

Auparavant, B. avait mis en œuvre un « partenariat collectif de l’Observatoire de l’Ajustement » au Cameroun avec des chercheurs nationaux. Il s’agissait pour lui d’organiser la « décolonisation scientifique » en faisant émerger une science nationale de qualité. Mais, en formant une quinzaine de doctorants africains, B. alimenta - en partie ! - l’exode scientifique.

Progressivement, B. s’efforça de penser le destin collectif de son pays natal et d’en influencer le cours, étant conduit naturellement à « une écologie pratique ». Ballotté entre étatistes et autogestionnaires de gauche, il conserve le souci de l’égalité réelle et de l’émancipation véritable des anciennes colonies. Il se dit surpris de voir surgir l’islamisme et l’évangélisme à la fois en Afrique centrale et occidentale et dans certaines banlieues françaises.

En conclusion, B. constate la fragmentation toujours plus grande de la société française. Il demeure étonné de la rage de survivre, de l’immense capacité de rebond des Subsahariens lors des catastrophes. Pour lui, une page s’est tournée, sans que la décolonisation mémorielle ait eu lieu.

Cet ouvrage ne reflète pas le parcours d’un chercheur ordinaire, ne serait-ce qu’en raison de son cheminement atypique. Il a eu une carrière riche même si on ne lui a pas toujours accordé la liberté souhaitée pour donner corps aux projets collectifs qu’il avait ; carrière indéniablement pluridisciplinaire : travail de terrain au plus près des populations africaines, enseignant chercheur, directeur éditorial, conseiller scientifique, expert, autant de fonctions toutes orientées vers la transmission et l’intérêt pour le développement. C’est un itinéraire de vie singulier et un regard réflexif que Georges Courade partage avec le lecteur.

Ce court mais dense essai est accompagné d’une liste des documents et sites consultés, ainsi que de deux cartes, trois photos et trois index : géographique, nominatif et thématique.



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Cette recension est basée sur un ouvrage disponible à la bibliothèque de l’académie des science d’outre-mer