Chine la longue marche vers le futur : l'Empire du Milieu à la Chine des technologies

Recension rédigée par Dominique Barjot


֤Édouard Valensi a été chargé d’études sur la dissuasion nucléaire au ministère de la Défense pendant plus de dix ans. En tant que chargé de mission industrie, il a été ensuite responsable des relations entre la Défense et les PME avant de diriger lui-même une PME d’intelligence économique. Il s’agit d’un livre utile, riche en informations récentes, mais d’une lecture malaisée compte tenu d’un certain nombre (ou plutôt d’un nombre certain) d’insuffisances, dont il sera fait état, de manière plus précise, en fin de recension. Partant de l’observation que Hu Jintao, puis Xi Jinping ont fixé au pays d’être à la fois une nation socialiste moderne, prospère, puissante et démocratique, l’auteur se fixe un triple objectif : présenter ce qu’est l’innovation industrielle en Chine, évoquer la montée en puissance industrielle et technologique du pays, évaluer la part des apports et des menaces que représente la RPC pour le monde (p. 9-11).

Sans qu’il soit possible d’identifier un fil directeur solide, l’ouvrage se présente comme une succession de fiches équivalentes à autant de fiches.

Le chapitre 1, « Un peu de politique » (p. 13-27) évoque le paradoxe : le poids absolu de sa recherche-développement, mais aussi sa relative faiblesse par tête d’habitant, ainsi que son retard en termes de compétitivité. Cette situation n’empêche pas que le pays soit le premier exportateur mondial et ait un excédent commercial considérable par rapport aux États-Unis. Elle le doit à une politique industrielle volontariste et à la soif de modernisation de la société chinoise.

Le chapitre 2 (« Les premiers chemins », titre peu explicite, p. 29-58) cherche à montrer comment la Chine veut effacer ses retards pour mieux progresser, par quatre moyens : le renseignement ouvert, l’entrée dans des joint-ventures, l’acquisition de leaders mondiaux en difficulté et l’appropriation, plus ou moins régulière, de technologies. L’introduction de savoir-faire majeurs se situe au cœur de la politique de modernisation industrielle de la Chine : automatisme et robotique, agrochimie et semences, pneumatiques, acier (rachat de British Steel), aéronautique (investissements en Ukraine et au Brésil). La Chine apparaît ainsi comme un « prédateur prudent », attentif à se faire accepter en dépit de quelques points de résistance, misant sur les flux financiers et cherchant à internationaliser les formations supérieures.

La Chine est ainsi devenue « la seconde puissance innovante dans le monde » (chapitre 3, p. 59-73). La statistique des brevets (42,8% des dépôts mondiaux en 2016) est trompeuse, car 4% seulement des brevets chinois sont déposés à la fois aux États-Unis, au Japon et dans l’UE. D’un examen rapide de quelques technologies majeures (intelligence artificielle, batteries électriques, nanomatériaux, terres rares, graphène) et d’une analyse des projets chinois de smart cities, il ressort que la Chine est un « très solide second des États-Unis ». C’est ce que confirment « les promesses de l’industrie de la santé » (chapitre 4, p. 75-88). Issue d’une prise de conscience récente, elle a porté ses efforts sur la mise au point de médicaments, par de nombreuses entreprises récentes, les matériels et l’appareillage d’exploration et l’informatique de santé. Cependant, le socle industriel demeure encore fragile, malgré l’apparition de champions nationaux cachés.

Dans un chapitre beaucoup mieux construit (chapitre 4 – « Au cœur de la défense », p. 89-109), l’auteur met en lumière les progrès récents, mais spectaculaires, de la Chine. Ils portent la marque de Xi Jinping, soucieux de se libérer de la dépendance russe et à l’origine d’un renouveau, basé sur des programmes recentrés. Face aux incohérences nucléaires, Xi Jinping a voulu se doter de missiles conformes à l’état de l’art. Le pays est capable de produire des armes de dernière extrémité (DF-41, DF-26), équivalentes à celles des États-Unis, et s’est dotée d’une capacité antinavire unique au monde. Sur le modèle américain, la Chine privilégie les armées intelligentes. Elle s’appuie sur une programmation couronnée de succès visant à la fois à contrer les menaces stratégiques et à garantir les intérêts chinois dans le monde.

L’espace (tàikong en mandarin) est l’un des secteurs clés de la modernité pour la Chine (chapitre 5, p. 111-128). Elle est d’abord entrée par la petite porte, jusqu’à la création, en 1993, par Jiang Zemin, de l’Agence Spatiale nationale de Chine (CNSA) et le développement d’une coopération étroite avec la Russie (2003 – vaisseau spatial Shenzo et premier taïkonaute chinois). En 2020, la Chine aurait procédé à des centaines de lancements de satellites. Un an plus tard, trois taïkonautes chinois ont rejoint la station spatiale Tian He, achevée en totalité en 2021. Les Chinois envisagent en effet d’explorer la lune et ont mis au point un programme d’étude de Mars. A plus long terme, le programme Tianwen (2020-2035) envisage notamment une mission sur Mars (2028-2030) et vers Jupiter (2029-2035). S’y ajoute celui de l’International Lunar Research Station (ILRS, 2031-2036). Malgré ses ambitions et les investissements massifs effectués dans ce secteur, la Chine conserve un retard d’environ dix ans sur les États-Unis.

Premier émetteur de gaz carbonique au monde, loin devant les États-Unis, l’Inde et la Russie, mais, si l’on raisonne par tête d’habitant, la « Chine décarbonée » (chapitre 6, p. 129-141) se situe loin derrière les pays du Golfe, l’Australie et les États-Unis, la Russie ou même l’Allemagne. Ayant fait de l’environnement une priorité majeure, elle a engagé un rééquilibrage de sa production d’énergie vers le nucléaire et l’hydraulique, mais aussi, et surtout, l’éolien et le solaire. Adoptant une programmation réaliste, elle a effectué en ces domaines une véritable percée technologique, grâce à la mise en place d’un cadre juridique et financier contraignant et à des investissements colossaux. Elle se positionne ainsi en tant que leader du développement durable.

« Conquérante et bientôt sans pareille » (chapitre 7, p. 143-171), la Chine s’appuie sur un fort noyau de State Owned Enterprises (SOEs) sous contrôle étroit. A travers la SASAC (State Owned Assets Supervision and Administration Commission), elle bénéficie de la bonne représentation de l’État actionnaire, comme le montre l’exemple du secteur ferroviaire, aujourd’hui en pleine restructuration et atout décisif du projet « routes de la soie ». La SASAC vise à dynamiser les entreprises publiques, à débroussailler et restructurer pour s’imposer au niveau international. Le choix de la technologie est déterminant. C’est ainsi que la China Banknote Printing and Mining Corporation est devenue le premier fournisseur mondial de billets de banque. Comme les entreprises publiques, les entrepreneurs privés bénéficient de « crédit sans compter », d’où l’apparition régulière et le développement de nouveaux groupes compétitifs sur le marché mondial.

Peut-on, dès lors, parler d’une « Chine émancipée » (chapitre 8, p.173-199) ? De fait, la productivité apparaît comme une clé majeure du progrès. Pour cela, il faut s’appuyer sur une élite au plus haut niveau, formée par des universités au top mondial (Tsinghua, Harbin Institute of Technology, Zhejiang University, etc.), et constituée de millions d’ingénieurs au fait des dernières technologies.

Mais la liberté de création bute sur l’obstacle d’un régime affaibli qui se cherche. Ayant une vision un peu trop intellectuelle de la Chine, l’auteur mise sur l’autodestruction du socialisme par la culture, espère en l’apparition d’un germe de démocratie, dans un pays resté fidèle aux principes d’un monde harmonieux : non-ingérence, respect des petits pays par les grands, volonté de se garder des extrêmes, ne combattre qu’avec raison et recherche d’un monde uni pour tous.

 Assorti d’utiles annexes, volontiers attiré par les mots « savants », le livre souffre de l’absence de tout glossaire et d’une bibliographie minimale (en dépit de notes de bas de page). Nulle part n’est définie une problématique susceptible de fournir au lecteur un fil directeur de compréhension. Souffrant d’une rédaction inégale (les chapitres sur la défense et l’espace sont de loin les meilleurs), l’ouvrage constitue une étude assurément utile, mais exposée au risque d’être rapidement obsolète.

Malgré son intérêt, il ne peut atteindre totalement les objectifs ambitieux qu’il s’était fixé.