Les groupes armés du Sahel : conflit et économie criminelle au Nord du Mali

Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteure, docteur en science politique, est enseignante-chercheuse à l’Université Gaston Berger de Dakar, spécialisée en géopolitique et en économie criminelle au Sahel. Si on compare cet ouvrage à ceux portant sur le même région, ayant fait l’objet d’une recension dans ces colonnes, Les Politiques de l’islam en Afrique de G. Holder et J.P.Dozon (2018), Le Grand Livre de l’Afrique de N.Normand (2019), Le Djihad en Afrique du Nord et au Sahel, d’Aqmi à Daech de Djallil Lounas (2019), Désarmement, démobilisation et réintégration au cœur des conflits sahéliens de G. Lemarchand (2021), on s’aperçoit que B.Mesa démystifie la menace jihadiste, structurée comme une narco-organisation (p.8) et placée au cœur de la géopolitique et de la géostratégie (p.28). De ce fait, en étudiant le développement progressif de la criminalité au Mali, elle constate que le commerce illégal est l’objet d’une concurrence armée entre les différents groupes terroristes, sécessionnistes ou islamistes (p.37) et que les travaux académiques ne se sont pas encore penchés sur la dimension mafieuse des conflits ou sur celle du crime organisé impliquant les acteurs étatiques ou insurrectionnels (p.41).

L’État-nation du Mali a été imposé par la France dans un pays surveillé pat un système central contrôlé par l’ethnie noire bambara, contesté par les populations nordistes tribalistes, arabe, touarègue, peul, songhaï (p.314). Les juntes militaires successives transforment le pays en un haut lieu du trafic de drogues (p.19). L’instabilité vient des actions criminelles, de l'immigration clandestine, du trafic d’armes et de drogues, des enlèvements d’étrangers (p.169). Les soldats maliens vendent leurs armes aux narcotrafiquants (p.207). Les revenus de l’économie informelle n'ont pas été utilisés pour former une armée forte mais pour soutenir des milices touarègues et arabes, intégrées dans l'armée malienne depuis les accords de Tamanrasset en 1991, renouvelés à Alger en 2006, encourageant du coup le mouvement sécessionniste (p.271). Les fonds de l'aide internationale ou bilatérale ont disparu sans que la population n'en reçoive une partie et qu'il n'y ait un audit de la part des bailleurs (p.180). L’émergence de groupes rebelles armés opposés au pouvoir central est de ce fait liée à la lutte pour le monopole de l’activité économique illégale (p.48). Le Mali est devenu un État failli par l’émergence de forces concurrentes violentes au domaine politique (p.9).

L’économie criminelle a déstabilisé l’État malien en lui soustrayant sa souveraineté dans le nord du pays (p.288). Les autochtones du Mali Nord, touaregs, arabes, peuls, songhaï ont été en conflit avec les groupes ethniques noirs, mais aussi les Peuls avec les Dogons, les Touaregs avec les Peuls (p.44). La population est restée pauvre alors que des ressources économiques importantes provenaient de l’économie légale ou illégale, et que les matières premières comme l’or, le pétrole pas exploité, le magnésium de Gao sont abondantes (p.45). Le Nord du Mali est passé d’un territoire nomade à un espace géré par les opérateurs de l’économie criminelle de l’extérieur comme de l’intérieur (p.186). A la chute de Kadhafi, 40 millions de kalachnikov ont été dispersées dans la région (p.247). Les deux tiers du territoire, soit 820.000 km2, ont été rebaptisés « Azawad » (p.65) par les Touaregs locaux, qui préfèrent être appelés « Kel tamashek », locuteurs du tamashek, variante du tamazigh (p.72). En fait, « touareg » pluriel de « targui » en arabe, a la connotation religieuse péjorative de « abandonné de Dieu », car les Arabes les considèrent comme de piètres musulmans (p.71), présents dans cinq pays (p.88). La désintégration de la Libye a renvoyé les touaregs de l’armée libyenne avec leurs armes au Mali où ils créent le Mouvement National de Libération de l'Azawad (p.192). En 2012, une insurrection a conduit les Chefs d’État du CEDEAO à un sommet à Bamako pour y proclamer l’inviolabilité du territoire malien (p.108). Le Conseil de Sécurité fait déployer la Mission internationale de soutien au Mali, MISMA (p.110) tandis que la France déploie l’Opération Serval (p. 112).

L'armée algérienne contrôle 250.000 km2 (p.17) de la région de Taoudeni, à l'extrême Nord du Mali, qui contient des réserves de pétrole et de gaz (p.15), également lieu du trafic de drogues contrôlé par AQMI et le Mouvement Arabe de l’Azawad (p.198). La relation entre l’Algérie et le Mali s’explique par l’échange entre les deux pays d’activités criminelles sous la protection militaire d’acteurs légitimes et non légitimes (p.178). Réfugiés au Mali, opposants au gouvernement d'Alger, les jihadistes algériens ont adopté la mention « AQMI » en 2006 pour acquérir plus de crédibilité internationalement (p.131), passant d’une criminalité politique à une criminalité économique et contractant des mariages au sein des tribus arabes locales. Des Maliens touaregs de Kidal et arabes bérabiches de Tombouctou vont se rallier à eux (p.118-119) puis des militants mauritaniens, afghans, marocains (p.120). Les Américains lancent en 2003 le Pan sahel Initiative au Nord Mali pour lutter contre les bases terroristes (p.125). Mais la population est demeurée un acteur passif et complice avec la connivence des élites tribales, négligeant l’État malien tandis que les jihadistes contre commission protègent les voies empruntées par les convois de drogues (p.204). En effet, la rentabilité de l'économie criminelle a transformé les inactifs en chauffeurs de voitures tout terrain, assurant le transport du commerce légal et illégal transfrontalier (p.242) et en constructeurs de nouvelles routes de transit de cocaïne, haschich et autres produits servant à l’enrichissement des clans (p.261). Ainsi, un affrontement en août 2016 entre groupes armés du GATIA (Arabes et Touaregs) et HCUA (Haut Conseil Touareg pour l’unité de l’Azawad) pour le contrôle de drogues destinées au Niger, a causé la mort de cent hommes ; la nouvelle fut interprétée à l’étranger comme un différend territorial ou communautaire ! (p.196). L'enlèvement de coopérants occidentaux s'ajouta aux revenus criminels. En 2003, les Algériens du clan d'El Para organisent le premier enlèvement international de 32 touristes qu’ils transportent au Nord Mali d’où ils les libéreront contre rançon (p.125), que se partageront des chefs d’État, Blaise Compaoré et les présidents maliens successifs (p.226). Les tarifs de libération ont augmenté par la suite jusqu’à 5,5 millions $ par otage (p.232).

Le wahhabisme a été introduit dans les années 1970 par le biais de programmes d’assistance saoudiens, qui ont fait disparaître les confréries traditionnelles mais en fait les groupes armés n’obéissant qu’à leurs intérêts (p.278). De jeunes Maliens sans moyens de subsistance se sont engagés dans des groupes de lutte contre l’Occident qui leur donnaient une identité (p.138) en même temps qu'un débouché professionnel (p.147). Les revenus élevés des commerces illicites ont généré la multiplication des cellules « jihadistes » (p.148). La séparation du MUJAO d’AQMI est due à la répartition des profits (p.149). Les jihadistes ont chassé les troupes maliennes puis éliminé les sécessionnistes, générant plus de violence entre les groupes rebelles rivaux (p.163). Le jihadisme malien n’est qu’un simple instrument de mobilisation dans les combats, l’opportunisme économique étant la seule motivation des groupes armés (p.309) attachés à la seule loyauté tribalo-territoriale (p.312). L'achat pour 10.000 euros de jeunes garçons maliens à leurs familles pour servir de kamikazes est courant (p.337).

Les causes politiques au sein des jihadistes et des rebelles se sont donc transformées en motivations d’organisations criminelles impliquant le contrôle de l’espace (p.343). L’influence wahhabite sur l’État malien est limitée du fait que Bamako depuis l’indépendance soit en convergence avec la Russie (p.305). Le problème du pays, composé de 25 régions ethniques, est celui de la décentralisation (p.349). Le Nord du pays est dirigé par les Touaregs et les Arabes, le Centre par les Peuls et le Sud par différents groupes ethniques, en majorité Bambaras (p.339). Ils s’opposent les uns aux autres (p.356). Mais, sans paix au Mali, il n’y aura pas de paix au Sahel. (p.361)

Du point de vue de la forme, on regrettera que la liste des sigles soit incomplète, (p11) et que les cartes géographiques insérées dans le texte (p.137, 139, 197, 254) soient trop petites pour être compréhensives.