L'histoire de l'AFD en Haïti : à la recherche de la juste distance

Recension rédigée par Jean Nemo


Le premier auteur, « chargé de mission Histoire et Réflexion stratégique à l’AFD », poursuit ses investigations à la fois historiques et stratégiques, comme l’indique l’intitulé de sa fonction. D’abord relatives à l’AFD, à l’occasion et plus généralement sur les politiques françaises et multilatérales d’aide au développement et d’assistance technique. On rappellera qu’il s’agit aussi d’un confrère dans notre académie. Il est accompagné par une co-auteure, récente chargée de mission à l’AFD.

La coopération française avec Haïti, que ce soit sous forme culturelle ou d’aide au développement, a toujours été assez hésitante dans ses objectifs comme dans ses méthodes d’intervention. Cela en raison notamment de l’histoire tourmentée de ce pays au cours des dernières décennies, politiques et sismiques. La deuxième partie du titre de l’ouvrage en est une illustration frappante : « …À la recherche de la juste distance ».

Après avoir rappelé, en bonne méthode, ce que furent les relations souvent difficiles, voire dramatiques, entre un pays peuplé d’esclaves révoltés et une France colonisatrice vaincue mais sachant imposer une lourde dette de « rachat », scrupuleusement honorée tout au long du XIXe siècle. Scrupuleusement certes, mais au prix de nombreux réajustements, d’étalements, de « descentes » d’escadres françaises dans la baie de Port-au-Prince. Premier et probablement seul cas où une colonie achète à son colonisateur son indépendance et, par la même occasion, l’affranchissement des esclaves qui la peuplent.

Les auteurs rappellent d’abord et brièvement l’histoire des prédécesseurs de l’actuelle AFD, rappel utile pour le lecteur d’aujourd’hui.

Les auteurs terminent ces prémisses en rappelant qu’Haïti est rentré, en 1973, dans « le champ » ou « le pré carré », comme l’on disait alors des pays relevant pour l’aide au développement (généralement celui bénéficiant à ce titre du Fonds d’Aide et de Coopération, plus généralement celui de la zone Franc) et l’assistance technique, du ministère de la Coopération, tantôt de plein exercice, tantôt rattaché au MAE. Dans ce dernier cas, il restait toujours de fait indépendant, ce jusqu’en 1998.

Suit une analyse des modalités dans le temps d’intervention en Haïti de l’AFD, lesquelles se décomposent en trois périodes : « les premiers pas » (1975-1994), « intervenir au défi d’une présence en pointillé » (1994-2010) ; « le post-séisme sous le signe des inflexions et des changements d’échelle » (2010 à aujourd’hui).

Dans le premier temps, pas d’installation sur place d’une agence, celle de Point-à-Pitre prépare et gère les quelques premiers projets en Haïti : un prêt à conditions avantageuses pour un projet hôtelier (dont, notation personnelle du rédacteur de la présente note de lecture, on s’interrogea au ministère de la Coopération sur l’intérêt pour son développement et s’il n’existait pas d’autres priorités plus urgentes). Du reste, ce projet demandé par le président de l’époque, Duvalier père, dit « papa doc », de triste mémoire, resta dans les limbes, notamment du fait de partenaires français peu fiables.

Les auteurs n’occultent certes pas ce « premier pas » plutôt calamiteux. Ils retracent les vaines tentatives, au fil des ans, pour relancer et sauver le projet. Conformément à la nécessaire déontologie de ce type d’ouvrage, ils prennent moins parti que le rédacteur de la présente note de lecture, qui eut l’occasion et à plusieurs reprises d’exprimer de vives critiques, à propos de ce projet, au « conseil de surveillance » de la Caisse centrale de Coopération économique de l’époque. Ils n’occultent cependant pas l’analyse critique d’un premier et déplorable projet.

Ils expliquent par ailleurs les conditions dans lesquelles une tentative de politique d’aide au niveau régional (Antilles françaises, autres pays des Caraïbes), aboutissent à l’ouverture d’une agence à Port-au-Prince en 1984. Ils expliquent également que la Caisse française de Développement (CFD, intitulé de l’époque) avait peu d’expérience des pays dits « hors champ », partant peu de personnel disposant de l’expérience nécessaire pour opérer dans le dit « hors champ ».

Cette innovation à perspective de politique régionale permet cependant de découvrir une pauvreté aux caractéristiques inconnues dans les pays du « champ », « nouvelle frontière culturelle », comme l’écrivent les co-auteurs. Auxquelles s’ajoutent des divergences entre le type de coopération traditionnellement menée au niveau de l’ambassade et plus généralement entre les différentes institutions bi et multilatérales qui travaillent sans véritable coordination.