Désastres afghans : carnets de route, 1963-2014

Recension rédigée par Alain Lamballe


            Dans ses carnets de route, Bernard Dupaigne nous livre, par des entretiens avec des Afghans (il parle persan et se fait traduire le pachto) et grâce à des observations personnelles, une analyse des événements politiques et militaires qui ont bouleversé l’Afghanistan. Il relate des situations vécues dans de nombreuses régions d’Afghanistan lors de missions ponctuelles effectuées pour des organisations humanitaires (dont Afrane, Amitiés franco-afghanes) pendant plusieurs décennies, à pied, à cheval, à moto, en camion, en voiture, en autocar, en temps de paix comme en temps de guerre.

             Le livre comprend trois parties couvrant respectivement les périodes 1963-1997, 2001-2010 et 2011-2014.

            La première partie couvre la période de l’occupation soviétique (1979-1989) en la débordant largement. Formée d’anecdotes, toutes datées, elle occupe la moitié de l’ouvrage.

            L’auteur dénonce les exactions des Soviétiques qui n’hésitent pas à piller les villages, à voler des objets artisanaux et des biens personnels, à s’emparer de bétail, à brûler les récoltes. Les occupants essaient d’intercepter les camions, les pick-up et les dromadaires qui alimentent la rébellion depuis le Pakistan.

            La deuxième partie du livre, courte (une trentaine de pages), englobe la période postérieure aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York et Washington. Les Américains veulent se venger. Ils soutiennent les formations politico-militaires ouzbèkes, tadjiks, hazaras et hératis, regroupées dans l’Alliance du Nord. La situation se détériorant, les Américains doivent envoyer des troupes mais commettent la même erreur qu’en Irak. Ils détruisent l’administration existante. Les chefs traditionnels cèdent la place à d’autres, possédant parfois la double nationalité afghano-américaine ou afghano-canadienne, souvent corrompus, ne pensant qu’à s’enrichir.

            La troisième partie du livre décrit, sur cent pages, la guerre des Français, menée d’octobre 2001 à décembre 2014, dans le district de Surobi (de la province de Kaboul) et dans la province de Kapisa. Bernard Dupaigne s’y rend en 2011-2012. Il ne trouve aucune justification à notre entrée dans le conflit.

            L’auteur n’est pas tendre avec nos soldats qui, selon lui, n’auraient pas pu comprendre les structures du pouvoir local. Il n’épargne pas non plus les représentants civils français, jugés peu efficaces mais bénéficiant d’avantages substantiels, notamment de fortes rémunérations, très supérieures à celles des militaires précise-t-il, qui eux prenaient des risques. Quant à l’ambassade de France, elle était truffée de personnels qui ignoraient le pays et ne sortaient pas. L’ambassadeur ne vérifiait pas le bien-fondé de nos engagements financiers. L’auteur ajoute que la France avait en 2012 à Kaboul trois ambassadeurs, l’ambassadeur bilatéral, le haut représentant civil et le responsable du suivi des accords de transit. Les institutions françaises qui avaient en charge le financement de programmes n’aidaient pas les entreprises françaises à les réaliser. Des firmes étrangères raflaient les marchés. Une personnalité trouve grâce auprès de Bernard Dupaigne. Il s’agit de l’agronome Yves Faivre dont il souligne la compétence et le dévouement, aimé des Afghans, respecté des militaires français mais détesté par les « jeunes gens » arrogants et ambitieux de l’ambassade qui le qualifiaient d’ « afghanisé », c’est à dire en fait d’ « ensauvagé ».

            Pour Bernard Dupaigne, les Français ne sont pas les seuls fautifs. Dans la lutte contre les Soviétiques, les Américains ont parfois financé les mouvements les plus extrémistes au détriment de ceux qui étaient pro-occidentaux. Les Américains et leurs alliés ont été incapables de coordonner leurs actions. Curieusement, l’auteur ne mentionne à aucun moment les Britanniques qui, en réalité, n’ont pas fait preuve de plus de discernement. Les Américains décident seuls, sans consulter les dirigeants afghans. Quant aux fonctionnaires internationaux, ils sont royalement payés et bénéficient d’avantages divers.

            Bernard Dupaigne ne ménage pas non plus ses critiques à l’égard des militants afghans, sans idées claires pour moderniser la société. Les obsédés du Coran qui ne participent pas au combat l’exaspèrent par leur complexe de supériorité. Les religieux ne sont pas toujours très instruits mais influencent les fidèles, lesquels ne comprennent pas l’arabe. Les insurgés n’exécutent aucune action commune, ils s’opposent parfois entre eux. Quant aux dirigeants afghans, l’auteur affirme que beaucoup sont arrogants, prétentieux, incompétents, corrompus et cherchent à obtenir le maximum de subventions internationales, prêts à s’enfuir à Dubai avec leurs richesses mal acquises. L’argent donné par la communauté internationale n’arrive qu’au compte-gouttes à leurs destinataires car l’essentiel est prélevé au passage par des intermédiaires afghans malhonnêtes. A diverses reprises, Bernard Dupaigne dénonce les ingérences pakistanaises.

            Au début de l’ouvrage, une carte générale de l’Afghanistan et des cartes des provinces de Ghazni, du Logar, de Kaboul et de Kapisa et du district de Sorubi permettent de suivre les itinéraires empruntés par l’auteur et de localiser les lieux visités.

            L’auteur a fait face à des dangers (bombardement, arrestation…). On admire son courage. On sent son amour pour l’Afghanistan. Il s’émerveille de certains paysages qu’il juge grandioses comme le lac Chiwa et la vallée de la rivière Morghab encaissée entre des falaises. Il sympathise avec la population en promouvant des projets de développement. Malgré son pessimisme clairement affiché, Bernard Dupaigne croît en l’unité du pays, qui, écrit-il, n’est pas menacé par des sécessions, aucune province ne demandant son rattachement à un pays voisin.

            Le livre qui se lit facilement est une succession d’anecdotes entre lesquelles s’emmêlent d’intéressantes réflexions sur les Afghans et les Occidentaux, sur les combats, les aides de la communauté internationale, les phénomènes sociétaux, la corruption.