Migrations de langues et d'idées en Asie : actes du colloque international à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Palais de l'Institut, et à l'INALCO les 17 et 18 février 2012

Recension rédigée par Bernard Dupaigne


Ce volume, un ouvrage savant et bien intéressant, constitue les Actes du colloque organisé en février 2012 par Jean-Louis Bacqué-Grammont, Pierre-Sylvain Filliozat et Michel Zink, les deux derniers étant membres éminents de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Les mouvements d’idées et d’individus, les voyages des langues sont courants en Asie depuis des millénaires. Cette diffusion des connaissances et de la science est illustrée ici par des exemples variés, venant du Proche-Orient, de l’empire ottoman (et de la Turquie), de l’Inde, de la Mongolie, de la Chine et du Japon.

À travers la Mésopotamie urbaine, la diffusion des écritures cunéiformes permet que des royaumes éloignés les uns des autres, comme ceux d’Égypte et des Hittites, communiquent. Et c’est le fait que l’écriture soit lisible qui est important : un texte est retranscrit et peut être lu par nombre de gens, après leur initiation à cette forme de fixation de la pensée et des faits. À partir de – 1200 environ, et l’arrivée des Araméens, l’écriture cunéiforme sur tablettes d’argile cède la place à des textes sur rouleaux.

Les syriaques traduisent les auteurs grecs, ce qui permet le transfert des connaissances scientifiques dans le monde arabe. L’importance des navigations commerciales développe la géographie et la cartographie. Au xiesiècle, oncroit encore que les pierres des fonds de la mer Rouge sont en majorité magnétiques et attirent le fer, les clous des navires, donc, et c’est pourquoi, dans l’océan Indien, les navires sont cousus.

Colbert (1619-1683) voulait faire partir des scientifiques pour la Chine. Son successeur, Louvois, en envoya en 1684 pour effectuer des relevés cartographiques. Les empereurs de Chine accueillirent favorablement les avancées scientifiques apportées par les missionnaires jésuites, qui, malgré leurs espoirs, ne les virent pas se convertir au catholicisme. Un personnage méconnu, le duc du Maine (1670-1736) devint très tôt un soutien des jésuites français vivant à la cour chinoise.

Le texte du Ramayana indien, écrit sur feuilles de palmier, oles (du tamoul ôlai), était presque divinisé : il reçoit des offrandes de lumière, d’encens, de fleurs et de fruits lors des fêtes en l’honneur d’une déesse. Rama, quant à lui, est vu comme une incarnation humaine de Vishnou.

Le Ramayana, connu au Cambodge, comme la poésie indienne en sanscrit, a été traduit jusqu’à la cour du Grand Moghol, et ceci, à la demande, et aux frais de l’empereur Akbar.

Dans l’Empire ottoman, la curiosité envers le monde extérieur est constante. Les lettrés parlent et écrivent en arabe, en persan et en turc. Une Chronique de la découverte de l’Amérique « fut, en 1730, le quatrième en date des livres produits par l’Imprimerie impériale ottomane ». Les textes religieux sont en arabe, les textes profanes, dont ceux rédigés par des historiens, le sont en turc. Et certaines chroniques en persan, comme le fit Kâtib Çelebi, « l’un des intellectuels les plus éminents du xviiesiècle ».

Le bouddhisme et l’hindouisme sont présentés dans les manuels ottomans pour l’enseignement de « l’histoire des religions ». « Au xixe siècle, les réformes sont mises en œuvre dans l’empire ottoman à un rythme très soutenu ». « Pour les élites intellectuelles, elles sont représentées comme un “processus de civilisation”, une entrée dans l’esprit des “Lumières”. Symboliquement marquées, ces réformes s’inscrivent dans la droite ligne de l’héritage de la Révolution française de 1789 et des radicalismes européens ».

Les mouvements de population ont été constants en Asie centrale. Un article traite du cas du peuple önggüt, en Mongolie intérieure, et de ses tribulations compliquées. Ces Önggüts sont des chrétiens nestoriens, comme l’ont noté le franciscain Jean de Montcorvin, en 1305, et, avant lui, les pèlerins Rabban Markos (Mar Yahballaha iii) et Rabban Sauma, vers 1272. Le premier était Catholicos de l’Église d’Orient, le second Visiteur général, un haut titre nestorien. Rabban Sauma se rendit ensuite à Paris, comme ambassadeur de l’empereur Argun, puis à Londres et à Rome, où le pape Nicolas iv venait d’être élu (en 1288), comme le relate Egly Alexandre dans son article « Le voyage en Occident de deux moines mongols, Rabban Sauma et Mar Yahballaha : un témoignage des relations entre la Mongolie et l’Occident au xiiie siècle »[2].

L’ouvrage se termine sur l’évocation de poètes amateurs, des moines zen japonais composant des poèmes qui chantent « les plaisirs ou les tourments de l’amour », en s’inspirant d’un manuel de poésie chinoise du milieu duxiiie siècle.

Et sur celle de l’aventurier-diplomate portugais au Gujarat, Diogo de Mesquita (1529-1535).


[2] p. 11-21 dans le volumeEurope-Asie. Histoires de rencontres, édité par B. Dupaigne, Paris, Société des Études Euro-Asiatiques-L’Harmattan, 2006, 212 p. (non cité ici)