Qui veut tuer les mutuelles ?

Auteur par le CRAPS et la MAAE
Editeur CRAPS
Date 2020
Pages 149
Sujets Mutuelles
France

Assurance complémentaire santé

France
Cote 63.182
Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


Cet ouvrage réalisé sous la direction de l’Ambassadeur Louis Dominici, Président de la Mutuelle des Affaires étrangères et Européennes et de M. Patrice Corbin, Maître honoraire à la cour des Comptes, est consacré à un sujet rarement évoqué et pourtant consubstantiel à notre République. Pour traiter de ce sujet complexe et technique, il fallait que les auteurs parlent en orfèvres, tout en étant compréhensibles, ce qui est le cas des deux directeurs de cet essai. Contrairement à d’autres volets de la politique sociale, les Mutuelles et leur histoire, leur fonctionnement et leurs difficultés, sont relativement méconnues alors qu’elles sont essentielles à la vie des Français.

La première partie, intitulée « Les pouvoirs publics et les mutuelles en France, de la juste reconnaissance à l’oubli des valeurs mutualistes » décrit l’identité de ces organismes : solidarité mutualiste, absence de but lucratif et totalement démocratique puisque soucieuse de la liberté et de l’égalité ; qu’il s’agisse des mutuelles interprofessionnelles comme celle de la fonction publique (d’État, territoriale et hospitalière). Puis les auteurs rappellent l’historique des mutuelles qui débute sous l’ancien Régime au XVIIIe siècle avec les confréries, les corporations et le compagnonnage.  Mais c’est au lendemain du second conflit mondial, à une période où le besoin de solidarité nationale se faisait le plus sentir, que les mutuelles ont pris véritablement leur essor. L’intégration européenne a cependant progressivement conduit à harmoniser leur statut tant les régimes étaient disparates dans les États de l’Union. Les différentes directives de 1973 et 1979, celles de 1988 et 1990, instaurant la libre prestation de services, celle de 1992, concrétisant le marché unique, la directive « Solvabilité II » de 2009, l’entrée en fiscalité des mutuelles et la tentative non aboutie de la création d’un statut européen fondé sur leurs valeurs, ont grandement affecté les mutuelles en France, malgré un combat d’arrière-garde méritoire. Dès lors, la Commission, en refusant de prendre en compte la biodiversité sociale, imposait la priorité du marché unique.

Après avoir rappelé les origines, l’âge d’or, puis le déclin des mutuelles, la seconde partie de l’ouvrage rentre dans le détail des nouvelles dispositions qui affectent non seulement le fonctionnement des mutuelles, mais menacent leur existence même. C’est essentiellement la procédure du « référencement » qui introduira la concurrence dans les mutuelles historiques de la fonction publique d’État. A part deux d’entre elles (MGEFI et MAEE) qui demeurent des organismes uniques dans leurs ministères respectifs, les autres verront plusieurs candidats référencés. Une autre question particulière réside dans la relation entre les mutuelles et les syndicats. Comme le souligne ce rapport : « Alors que les mutuelles ont fait leurs preuves à tout égard au sein de la fonction publique d’État, il est de l’intérêt des agents de l’État et par là même du service public qu’ils assument, que les syndicats aident les mutuelles à conforter leur position dans les ministères ».

Alors, que faire pour les mutuelles de la fonction publique d’État ? L’idéal serait d’être, comme avant, exonérées d’impôts et taxes, et aussi de pouvoir exercer leur mission librement sans entrave. En pratique, les auteurs jugent que l’aide financière à la personne est bien la meilleure formule compatible avec le droit européen. Elle pourrait se traduire soit par un crédit d’impôt, soit un versement sur salaire ou pension de l’agent. D’après eux, il importe que le code de la mutualité française continue d’exister séparément et qu’en cas de besoin, la France puisse prendre les mesures de sauvegarde qui s’imposent.

Qui veut donc la mort des mutuelles ? Les groupes d’intérêts financiers, certains mouvements syndicaux et la pusillanimité de l’État qui n’a pas fait grand-chose pour défendre le modèle français. Pourtant, il ne serait pas trop tard pour mener une action d’urgence pour les mutuelles de la fonction publique d’État. Pour cela, il conviendrait d’abolir le dispositif du référencement, d’octroyer une aide personnelle aux agents de l’État, de réaffirmer la responsabilité de ce dernier en matière de santé publique, comme en matière sociale qui sont de compétence française et non communautaire. Au-delà de cette dimension technique, la reconquête doit se situer sur un autre terrain : conceptuel et politique. Il s’agit là d’un enjeu de société, dans la mesure où la devise de la République : liberté, égalité, fraternité, doit demeurer à l’esprit de nos gouvernants lorsque ces principes sont menacés.

À la fois informatif, écrit dans un style alerte, concis et clair, bien documenté et argumenté, cet ouvrage est également et nous dirions même, surtout, un plaidoyer en faveur de la renaissance des mutuelles d’État, dans un contexte européen qui pourtant ne s’y prête guère. Petit à petit, l’uniformisation des règles au sein de l’Union européenne a pris le pas sur les particularismes des États. Le Brexit est la manifestation la plus radicale de la prise de conscience des peuples des limites de ce processus. D’autres forces politiques en Europe œuvrent à une meilleure prise en compte de la diversité et dénoncent le ‘diktat de Bruxelles’. L’avenir nous dira qui l’emportera dans ce bras de fer entre les nations et la structure bureaucratique européenne.