La francophonie institutionnelle : 50 ans

Recension rédigée par Jacques Legendre


En 230 pages, dans la collection « Relations internationales du monde contemporain » des éditions de l’Harmattan,Christophe Traisnel et Marielle A. Payaud ont entrepris ce qu’ils appellent une « réflexion polyphonique sur l’institutionnalisation de la Francophonie ».

Christophe Traisnel est professeur à l’Université Jean Moulin de Lyon-3 et chef de cabinet du recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie. Ils ont été assistés par Mme Huy Khanh Dong, docteur en sciences politiques et gestionnaire de la Revue internationale des Francophonies qui a d’abord publié ces cinq entretiens et huit articles qui incitent à « un voyage au sein des singularités institutionnelles de plusieurs francophonies ».

Logiquement, le livre donne d’abord la parole aux représentants des grands acteurs institutionnels de la francophonie.

Madame Catherine Cano, administrateur de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) est dans son rôle en exprimant la satisfaction de l’action entreprise sous l’autorité de Mme Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’OIF qui entend donner une priorité absolue à la langue française, à sa transmission, à la fluidité de l’éducation, à son repositionnement dans des domaines d’avenir comme le numérique.

M. Slim Khalbous, recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie et ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche en Tunisie, se félicite de l’institutionnalisation de la Francophonie mais appelle à son nécessaire renouvellement. Il veut éviter une francophonie négative, parfois dépassée, et faire évoluer l’état d’esprit de plusieurs acteurs. On aimerait qu’il les nomme. A juste titre, il souligne aussi l’importance du numérique. Mais il appelle aussi à un positionnement spécifique et différencié autre que celui de la langue, qui lui permette d’être reconnu au niveau international.

M. Jacques Krabal, député français, secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, réclame, lui, une « redéfinition des objectifs recentrés sur leur socle : la langue française et la coopération ». Il rappelle l’affirmation de Senghor : « Le succès de la francophonie dépendra de l’efficacité des structures et des hommes qui prennent en charge l’accomplissement du projet (1985). L’APF entend devenir le bras armé parlementaire du projet politique de la Francophonie.

M. Thierry Verdel, recteur de l’Université Senghor à Alexandrie, estime que la francophonie compte maintenant sur la scène internationale et exprime une certaine vision du monde, intrinsèquement portée par la langue française et l’héritage du siècle des lumières, droits humains, solidarité, respect de la diversité culturelle et linguistique.

Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde, évoque les avantages de l’institutionnalisation mais aussi l’inconvénient d’une « trop grande institutionnalisation qui conduirait à bâtir un « machin » comme disait de Gaulle de l’ONU ».

Il souligne l’importance du public potentiel de TV5 Monde : 330 millions de foyers mais aussi la faiblesse de son financement par rapport aux moyens dont disposent BBC World, Deutsche Welle ou Russia Today.

A travers ces interventions d’institutionnels, on peut percevoir un débat en cours sur les priorités de la Francophonie, en particulier par rapport à la langue. Les articles qui suivent sont très inégalement répartis géographiquement. Quatre articles concernent le Canada, deux autres nous emmènent au Vanuatu et en Haïti, un seul donne sur la francophonie un point de vue africain.

Quant à M. Frédéric Turpin, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Savoie, il examine l’institutionnalisation de la Francophonie à travers les hésitations des gouvernements français. Selon lui, la réticence de la France à l’égard de l’ACCT (Agence de coopération culturelle et technique) puis de ses avatars tient d’abord à une longue incapacité à faire cadrer le projet de francophonie multilatérale avec la politique extérieure française.

Le Général de Gaulle s’est montré sceptique devant les initiatives de Léopold Sédar Senghor et Hamani Diori en faveur d’une organisation de coopération intergouvernementale car, après l’échec de la Communauté franco-africaine, il craignait l’accusation de néo-colonialisme et s’intéressait en priorité aux rameaux séparés du peuple français (Québec, Wallonie, Jura).

On peut toutefois objecter que dans l’entourage du Général de Gaulle agissaient des hommes que l’on retrouvera dans la Francophonie, par exemple Xavier Deniav ou Philippe Rossillon.

En 1970, la mise en place de l’ACCT n’est qu’un pâle reflet du souhait de Senghor et ce n’est qu’en 1986, au premier Sommet de la Francophonie tenu à Versailles que l’institutionnalisation commence vraiment. Mais on doit faire remarquer à M. Turpin que la « guerre des drapeaux », entre le Canada et le Québec, a aussi sa part de responsabilités dans ces atermoiements.

Mais finalement, François Mitterrand (avec son conseiller Afrique Guy Penne) puis Jacques Chirac s’engagent résolument dans l’institutionnalisation. Ce dernier veut un secrétaire général fort et reconnu pour la Francophonie et impose l’élection de Boutros Boutros Ghali au Sommet de Hanoï (1997), et soutient une nouvelle armature de la francophonie avec le Sommet, la Conférence ministérielle, le Conseil permanent, le secrétariat général, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie et les opérateurs (AIF, TV5, AUF etc…)

En novembre 2005, à la Conférence ministérielle de la Francophonie d’Antananarivo, l’OIF succède à l’AIF et place la diversité culturelle au cœur de son action.

Mais il y a d’autres raisons aux réticences à l’institutionnalisation. Certaines sont idéologiques (néo-colonialisme). D’autres estiment que notre langue n’a plus de rôle à jouer dans l’évolution du monde.

Les présidences de Nicolas Sarkozy et François Hollande sont marquées par un moindre intérêt pour la Francophonie. Certaines refusent de mettre sur le même plan la construction européenne et la Francophonie. Néanmoins, après un long combat auquel a participé l’auteur de cette recension, la Francophonie est inscrite au titre XIV, article 87 «  de la Francophonie et des accords d’associations » à l’occasion de révision constitutionnelle du 20 juillet 2008.

Frédéric Turpin a raison, à la fin de son article, de citer Christian Philip, qui fut son représentant personnel dans les instances de la Francophonie : « Il reste à convaincre nos élites que la francophonie n’est pas un combat ringard mais un élément de la modernité … »

Quatre articles sont consacrés à la Francophonie au Canada.

Mme Michelle Lanory, professeur de sociologie à l’Université de Moncton, analyse l’institutionnalisation du mouvement pour l’avancement et la reconnaissance du français et du peuple acadien dans la Province du Nouveau Brunswick où les Acadiens représentent environ un tiers de la population.

Trois périodes d’action collective sont distinguées.

Au début sont fondées des organisations vouées à la défense et à la promotion des intérêts acadiens. Ensuite s’opère un rapprochement entre les organisations acadiennes et le gouvernement fédéral. Enfin s’opère l’imbrication des organisations du mouvement social et de l’appareil gouvernemental avec une certaine judiciarisation de l’action politique.

Le même mouvement s’observe aussi mais dans de moindres proportions dans les autres provinces où les francophones sont minoritaires. Il explique l’éloignement des Acadiens québécquois.

Mesdames Anne Mévellec et Linda Cardinal nous transportent, elles, dans l’Ontario francophone, comtés de Prescott et Russel. Toutes deux sont professeurs à l’Université d’Ottawa et analysent les régimes linguistiques à l’épreuve du territoire.

Dans l’Ontario, très majoritairement anglophone, existent pourtant des enclaves francophones. C’est le cas des Comtés unis de Prescott et Russell situés entre Montréal et Ottawa. Ils sont structurés par des institutions francophones qui nous rappellent que le régime linguistique canadien est un compromis institutionnalisé qui laisse les provinces libres dans leurs champs de compétence. On observe alors que le régime territorial prend le pas sur le régime linguistique. En analysant la situation de deux manifestations économiques dans une zone rurale francophone de l’Ontario, Comtés unis de Prescott et Russell : la Foire gourmande et le cendre, les auteurs montrent que le laissez faire fédéral risque à terme de permettre à l’anglais de prendre le dessus sur le français.

La situation linguistique canadienne ne doit pas être analysée seulement en fonction des grandes divisions : provinces, zones francophones et anglophones, mais aussi de manière fine, locale, où le français apparaît souvent menacé d’érosion.

François Charbonneau, de l’Université d’Ottawa, analyse la dynamique particulière du financement des associations porte-parole de la francophonie canadienne.

Ces associations opèrent dans un régime linguistique particulier qui pose en principe la personnalité. Il n’y a pas de reconnaissance de collectivités ni de droits collectifs. Mais en réalité, il existe un milieu associatif porte-parole des 9 provinces et 3 territoires et la loi sur les langues officielles fait obligation d’assurer la vitalité de ces communautés et donc leur financement. Ce financement entraîne une dépendance financière du milieu associatif par rapport au gouvernement canadien. Le risque est alors de voir les associations lutter pour leur financement plus que pour exprimer l’attente de leurs collectivités.

Guillaume Deschênes-Thériaut, doctorant à l’Université d’Ottawa, et Christophe Traisnel, professeur à l’Université de Moncton, se penchent sur le cas des francophones venus d’ailleurs par rapport à la francophonie en Acadie de l’Atlantique.

Depuis le début des années 2000, les communautés francophones minoritaires d’Acadie s’investissent dans l’accueil d’immigrants francophones. Mais la rencontre entre nouveaux arrivants et société d’accueil ne va pas toujours de soi car ils n’ont pas toujours les mêmes objectifs. Depuis 1990, on est passé d’une planification linguistique gouvernementale à l’action des acteurs sociaux. Mais le nombre des francophones recrutés chaque année est toujours bien en-dessous des objectifs. Parce qu’ils recherchent d’abord un emploi, les immigrants francophones risquent d’être aspirés par les zones économiquement les plus dynamiques et n’ont pas vocation à renforcer d’abord les minorités francophones.

Renauld Goudin, enseignant à l’Université d’État de Haïti, rappelle fort opportunément la contribution d’Haïti au fait francophone. L’État d’Haïti est créolo-francophone, membre fondateur de l’OIF et de beaucoup d’organisations francophones. Pourtant, sa place dans la Francophonie est mal connue et peu étudiée. Le français est langue officielle depuis 1915 et parlé et compris par environ 4500000 haïtiens. Grâce à Hsiri, le français est l’une des 4 grandes langues officielles du continent américain (avec l’anglais, l’espagnol et le portugais). Mais en Haïti, il faut distinguer le français d’Haïti du créole haïtien. Le français d’Haïti (FH) est une variante du français propre à Haïti qui a donné de grands noms à la littérature (Jacques Roumain, Dony Laferrière), à l’université (Yannick Lahens). Mais pour les élèves, il reste une langue étrangère, même s’il est appris et parlé, la langue maternelle étant le créole.

Il y a lieu, enfin, de noter la montée d’une certaine « américanophonie » sous l’influence de l’immigration haïtienne aux USA.

C’est dans un archipel au cœur du Pacifique que nous emmènent Jean-Pierre Nirva, ministre de l’Éducation et de la Formation du Vanuatu et Anne-Sophie Vivier, experte technique internationale. Le Vanuatu compte 292000 habitants en 2018 dont 35% de fancophones et

 65  % d’anglophones. Ancien condominium franco-anglais de 1907 à 1980, cet État reconnait deux langues de travail, le français et l’anglais, une langue créole, le bishamar et des langues locales. Il désire se doter d’une université nationale bilingue, comme il en existe dans d’autres états mélanésiens. Ce projet se veut « un symbole d’unité et de cohésion sociale nationale avec 4 secteurs essentiels : tourisme, agriculture, environnement et informatique ». Mais ce bilinguisme français-anglais est fragile pour des raisons de coût. Il est souhaitable que la Francophonie apporte tout son concours à ce projet.

M. Jean-Paul Yongui, attaché d’enseignement supérieur à l’Université de Yaoundé-1, traite du « jubilé de la Francophonie avant la traversée des siècles ». Il parle avec enthousiasme et aurait voulu que l’année 2020 soit un véritable jubilé. Pour la Francophonie, il veut des palais, du marbre, et se réjouit des résultats probants qu’elle obtient tout en déplorant ses insuffisances structurelles et opérationnelles et son manque de visibilité sociopolitique. Il regrette son insuffisance d’empathie pour les étudiants francophones et insiste sur une nécessaire restructuration du secrétariat général de la Francophonie. Il souhaite aussi la constitution d’académies des langues autochtones.

Le volume consacré aux 50 ans de la Francophonie institutionnelle apporte beaucoup d’informations intéressantes sur des pays francophones trop méconnus : Haïti, le Vanuatu, sur les valses-hésitations françaises aussi. Il est particulièrement riche en informations sur les francophonies canadiennes minoritaires, leurs ressources et leurs fragilités.

On regrettera pourtant l’absence d’études sur les francophonies européennes ou méditerranéennes et surtout de voir la parole africaine réduite à un seul article.

Il faut redire, une fois de plus, que l’avenir de la francophonie se joue aussi, et même d’abord, en Afrique.

 


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