Les Lumières, l'esclavage et l'idéologie coloniale, XVIIIe-XXe siècles

Recension rédigée par Olivier Grenouilleau


L’objectif annoncé par la directrice d’ouvrage est louable : s’intéresser à la place des Lumières dans la contestation de l’esclavage et la genèse de l’idéologie coloniale en évitant des approches trop souvent manichéennes en la matière. « Les Lumières, qui ne sauraient se réduire ni à l’idéologie coloniale ni à une dénonciation de l’Ancien Régime, encore moins à un projet politique, offrent un espace de liberté de pensée et de critique » (p. 41).

L’objectif, cependant, n’est pas toujours atteint. Parce que les Lumières dont parlent les différents auteurs de l’ouvrage ne sont pas forcément définies ni toujours les mêmes. Parce que l’analyse littéraire est souvent analytique, manquant de soubassements comparatifs et historiques. Parce que le passé est parfois convoqué afin d’étayer une perception du présent. Commencer par dire que « les termes esclavage et colonisation renvoient de manière directe à l’idée de race » est vrai pour certains auteurs, à certaines époques, mais ne constitue pas un invariant. Annoncer que « les anti-esclavagistes deviennent colonialistes en vertu des principes démocratiques » (p. 9) est une généralisation qui ne tient pas la route. Car cela dépend, là aussi, des époques, des lieux, des auteurs. La directrice d’ouvrage rappelle la thèse de Jonathan Israël distinguant Lumières radicales et modérées. Sans doute aurait-il été utile de la voir appliquée à un certain nombre d’articles de l’ouvrage.

Le nuancé et le radical s’y côtoient. Michelle Ruivo-Coppin montre comment Voltaire dénonce les sévices de l’esclavage sans être pour autant un révolutionnaire, tout en rappelant aussi les ambiguïtés de notre temps, avec la persistance, actuelle, de l’esclavage en Maurétanie. Damien Tricoire souligne, avec le cas malgache, l’existence de liens entre les Lumières de la fin du XVIIIe siècle et la genèse d’une idéologie coloniale, cependant différente, écrit-il, du colonialisme des XIXe et XXe siècles. Inversement, s’intéressant au « wahhabisme au temps des Lumières », Fayçal Falaky montre que des hommes des Lumières y ont vu un allié possible contre les « superstitions du christianisme », avant de faire de ce wahhabisme le « Daech du XVIIIe siècle » (p. 145), et de conclure : « Dès lors, puisqu’elle est destinée à toute l’humanité, la mission de l’Europe s’érige en mouvement universaliste où les autres nations sont, en fonction de la présence ou l’absence d’une modernité affichée, alliés ou ennemis à convertir. C’est un mouvement universaliste qui brandit la bannière de la civilisation, de la démocratie et des droits de l’homme mais qui peut faire preuve d’une violence aussi impitoyable que celle de Daech » (p. 152).

Dans cet ensemble fort inégal, chacun puisera à son gré. On pourra s’arrêter sur « Le Maroc dans les récits de captivité barbaresque » (trois textes analysés), sur le « premier abolitionnisme espagnol » avec Zinda, de Maria Rosa Galvez (1768-1806) - tout en y regrettant le cliché selon lequel les Espagnols auraient été des maîtres plus « doux » que les autres - ou encore sur « Maupassant et l’idéologie coloniale » (même si on n’y distingue pas toujours les Lumières).