La question indochinoise entre la France et la République populaire de Chine de 1954 à 1964

Recension rédigée par Dominique Barjot


Formée à l’Université de Harbin (Heilongjiang, Chine), puis à la Renmin University of China (Suzhou, Jiangsu, Chine), enfin à Sorbonne Université, Tianhui Gong est une chercheuse brillante et travailleuse. Soutenue devant un jury composé de Dominique Barjot, directeur, et Olivier Forcade, co-directeur (Sorbonne Université), Lina Guo, rapporteure (Université Sun Yat-sen de Guangzhou, Guangdong, Chine), Jean-François Klein, président (université de Bretagne-Sud), Céline Marangé (Service historique de la Défense) et Frédéric Turpin, rapporteur (Université de Savoie Mont-Blanc), cette thèse apparaît particulièrement novatrice.

Appuyée sur un solide appareil critique (sources d’archives et imprimées, p. 461-499, bibliographie, p. 499-531, annexes, p. 533-587, tables, p. 589-602), la thèse de Gong Tianhui s’avère à la fois utile et importante. Elle le doit à la qualité des sources mobilisées, notamment chinoises et soviétiques traduites en chinois. Elle doit aussi à la prise en compte d’une large bibliographie, bien centrée sur le sujet et associant travaux chinois, francophones et anglo-saxons. De plus, la problématique apparaît bien cernée autour de trois axes :

1/ l’évolution de la politique extérieure de la République populaire de Chine (héritage de Bandung, soutien à la RDV, rupture avec l’URSS soutien grandissant à la révolution internationale) ;

2/ le double virage de la politique française (Genève, Charles de Gaulle) ;

3/ l’action spécifique des dirigeants du Cambodge et du Laos.

Organisée en trois parties chronologiques (conférence de Genève en 1954, 1954-58 et 1959-64), cette thèse débouche sur des résultats scientifiques robustes :

1/ Entre 1954 et 1964, l’Indochine occupe une place importante dans la stratégie extérieure de la Chine, pour des raisons à la fois idéologiques (anti-impérialisme, anticolonialisme, concurrence avec l’URSS), géopolitiques (containment américain) et historiques (suzeraineté). La France, de son côté appareil comme un colonisateur qui veut maintenir son influence. Il s’ensuit des relations ambigües entre les deux protagonistes. Pour la Chine, l’objectif majeur est de dissocier le camp occidental, même si la recherche des nouveaux partenaires face à l’URSS ouvre la voie, tardivement, à la reconnaissance de la République populaire de Chine par la France.

2/ Les relations sino-françaises butent sur des limites évidentes. En effet, la République populaire de Chine souhaite réduire l’influence des Occidentaux en Indochine, notamment les États-Unis. Ainsi s’explique son soutien à la lutte du Vietnam. À l’inverse, la France adopte une position toujours pro-occidentale, motivée par la nécessité de contenir la révolution communiste et de réduire l’influence chinoise. C’est pourquoi elle cherche d’abord à renforcer la coopération économique, culturelle et militaire avec les nouveaux États indochinois. Sous la IVe République, elle coopère avec les États-Unis afin de résister à l’expansion communiste en Indochine (OTASE, collaboration avec le Sud-Vietnam, le Laos et le Cambodge), tout en évitant d’irriter les communistes. Si des convergences apparaissent quant à l’application des accords de Genève, puis sur la neutralisation du Laos et du Cambodge, il existe aussi des concurrences, notamment dans ce dernier pays. De plus, la dégradation des relations entre l’URSS et la Chine a un effet surtout négatif sur les relations franco-chinoise : l’URSS voulant la neutralisation du Vietnam, comme la France, la Chine refuse cette solution.

3/ Certes difficiles, la coopération entre la Chine et la France ont été réelles quoique limitées, de 1965 à 1975. Pour Charles de Gaulle, la reconnaissance de la Chine ne permet pas de promouvoir une solution politique de la question indochinoise basée sur la neutralisation. La France se tourne dès lors directement vers la République démocratique du Vietnam et le FNL. De fait la Chine s’oppose toujours, aux négociations au sujet du Vietnam jusqu’à la fin de 1968, tandis que l’URSS cherche au contraire à jouer les médiateurs entre les États-Unis et le Nord-Vietnam : elle suspecte une combinaison américano-soviétique pour contenir la révolution en Asie et isoler la Chine. En 1968, suite à l’invasion de la Tchécoslovaquie, puis, en 1969, au conflit frontalier sino-soviétique, l’URSS devient la menace principale, la Chine cesse de s’opposer aux négociations sur le Vietnam, ouvrant la voie à un dégel sino-américain porte par Nixon et Kissinger. Il n’a rien à voir avec la France, dont l’influence est très limitée, comme le montre l’incapacité des accords de Paris de 1973 à apporter la paix au Vietnam. La France ne joue un rôle effectif qu’au Cambodge, rôle mis à mal par le coup d’État de Lon Nol, en 1970, et le départ consécutif de Sihanouk à Pékin.

Ces résultats scientifiques méritent publication. En effet, la thèse de Gong Tianhui propose une analyse pertinente, claire et convaincante de la politique chinoise vis-à-vis de la France et de l’Indochine entre 1954 et 1964. Si, à propos du Vietnam, elle confirme largement les nombreux travaux que lui ont été consacré, elle apporte beaucoup de neuf  sur le Laos, avec une excellente analyse des rapports de force internes et de l’action de la France et, plus encore, sur le Cambodge surtout, en raison de l’importance du lien entre le prince Sihanouk Norodom, la France et la Chine.