Souvenirs de mon séjour en Afrique : Maroc 1831-1832

Recension rédigée par Jacques Frémeaux


L’auteur de ces souvenirs, Erik Julius Lagerheim (1786-1868), séjourna environ dix-huit mois à Tanger, où son gouvernement l’avait chargé d’enquêter sur le travail, jugé insatisfaisant, du consul de Suède alors en poste. On se rappelle que Tanger était alors la seule ville ouverte au corps diplomatique occidental, et que la petite cité abritait alors des représentants de toutes les puissances. Le texte est présenté sous un format et dans une typographie très agréable. Il est remarquablement illustré de croquis, gouaches et lavis de Delacroix, exécutés à l’occasion du voyage que celui-ci effectua au Maroc à la suite de l’ambassade du comte de Mornay en 1832. Ces illustrations sont tout à fait bien venues, puisque le diplomate suédois fit la connaissance du grand peintre précisément lors de cette mission. 

On ne doit pas attendre de ce livre des informations précises quant aux affaires diplomatiques. En revanche, sa lecture constitue un témoignage précieux et très vivant sur le milieu spécifique de la petite colonie européenne de Tanger. Les intérêts nationaux comptent moins que les tempéraments et les personnalités. La pratique très répandue du français (à l’usage exclusif duquel notre Suédois est très attaché en matière de correspondance entre les consuls) facilite les rapports. L’auteur, qui paraît goûter la vie d’expatrié, vit au milieu d’une petite société européenne, qui s’efforce de mener un style de vie bourgeois dans un pays totalement fermé aux chrétiens. Il ne nourrit guère de grande sympathie pour la population, et encore moins d’ouverture vers ce qui lui est donné de connaître de la religion musulmane. Son souci principal est de faire respecter les privilèges des diplomates, tout en entretenant de bonnes relations avec les agents du Sultan. Tous ces détails de vie quotidienne sont rapportés avec simplicité et beaucoup d’humour. Il n’oublie pas non plus de décrire le voisinage de Tanger : la formidable base de Gibraltar, que les Anglais font visiter avec complaisance, et l’Andalousie livrée au brigandage du célèbre José Maria, évoqué plus tard par Mérimée.

On peut souhaiter que l’éditeur publie également, comme l’annonce la traductrice, les souvenirs de Julius Lagerheim sur son séjour à Alger, d’autant plus que ce séjour se déroula entre 1826 et 1829, période particulièrement sensible.