Banque mondiale, F.M.I. : gardiennes du temple ou gendarmes du monde ?

Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


Les instances financières de Bretton Woods : Banque Mondiale et Fonds Monétaire International, institutions des Nations-Unies ont été créées par les Américains et leurs alliés occidentaux pour reconstruire l’Europe d’après 1945. Depuis plus de 70 ans, elles sont évoquées par les économistes, les hommes politiques et les médias. Souvent critiquées, voire vilipendées, elles représentent un bouc émissaire de choix pour tous ceux qui sur la planète cherchent des responsables à tous les dysfonctionnements, d’ordre économique, financier ou social. L’origine de cette image controversée consiste en grande partie dans la méconnaissance du rôle de ces deux institutions par la majeure partie de leurs détracteurs. Or, chacune d’entre elles s’est vue attribuer des missions bien précises, même s’il y a évidemment une certaine porosité entre les deux. Afin de lever les ambigüités, de préciser les motivations et les actions de ces deux institutions, qui mieux que Jacques Crosnier, ancien haut fonctionnaire de la Banque Mondiale pendant 28 ans aurait pu se charger de nous éclairer sur ce sujet ?

Il nous dresse tout d’abord un panorama des spécificités du Fonds Monétaire International, de sa gouvernance, de son rôle et de son fonctionnement, sans oublier de mettre en évidence quelques actions types ; sa contribution de 115 millions de dollars au Burkina Faso, afin d’atténuer l’impact socio-économique de la COVID-19 est l’une d’elles. Toutefois, l’auteur ne cache pas les critiques récurrentes qui sont faites à l’égard du FMI, dont celle d’être monopolisée par les États-Unis ou d’être incapable d’identifier les risques.

Jacques Crosnier passe ensuite au Groupe Banque Mondiale qu’il connait bien. Un petit rappel historique présente les cinq institutions qui en font partie : BIRD, Association Internationale de Développement (IDA), Société Financière Internationale (SFI), Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (MIGA) et Centre International pour le Règlement des Différends Internationaux (CIRDI). Après avoir présenté le fonctionnement de la Banque Mondiale (conseil des Gouverneurs, d’administration, quotas, assemblées générales, Présidents), l’auteur fait état des projets, financés par des dons ou des prêts à taux zéro dans tous les domaines, à l’exclusion de la défense. Il évoque également le financement des grands projets d’infrastructure, ainsi que les objectifs poursuivis, notamment sociaux, agricoles, de santé, de nutrition et de surpopulation. Il illustre cette présentation d’exemples concrets dans des pays comme Madagascar (élevage) et le Mali (agriculture). Enfin, il passe en revue les différentes étapes qui conduisent à la réalisation des projets, jusqu’à leur évaluation. Là encore, la pratique de ces matières par Jacques Crosnier constitue un atout de choix pour comprendre dans le détail le déroulement des opérations, tant les mécanismes sont complexes et parfois critiqués pour leur opacité. Il décrit également la coopération internationale du Groupe Banque Mondiale, avec les Nations Unies et les organisations internationales spécialisées : OMS, UNESCO, FAO, sans oublier les États comme la France, la Russie, la Chine et l’Afrique, la Société Civile et les ONG.

Jacques Crosnier n’élude pas la question des débats à l’intérieur même de ces deux institutions et nous expose les grands défis auxquels elles doivent faire face : surpopulation et migrations, inégalités entre pays riches, pauvres et émergents, dégradation de l’environnement et du climat, épidémies, conflits intra ou inter-pays. Tous ces sujets, à la fois techniques et politiques figurent en haut de la liste des préoccupations des dirigeants de la planète et d’une partie de plus en plus importante de la population mondiale.

Le bilan que tire l’ancien fonctionnaire international est tout à fait positif. Il constate que le Groupe Banque Mondiale « constitue, pour ses pays membres, une source importante d’assistance dans tous les domaines de développement », grâce à cinq filiales internationales, à un « staff » important d’experts de haut niveau et à une force de frappe financière de plus de 50 milliards de dollars par an. L’Institution, loin d’être figée, aurait une faculté à se renouveler en permanence grâce à sa participation aux grandes réunions internationales que sont le G7, le G20 et le G77. Bien qu’il concède l’argument selon lequel le FMI a une propension à être le gendarme du monde, il juge son action nécessaire pour éviter le désordre mondial. En revanche, il en serait autrement pour le Groupe Banque Mondiale depuis que l’institution s’est engagée dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités, bien que l’aspect « gendarme » puisse également le caractériser lorsqu’il s’agit de la lutte contre la corruption.

Jacques Crosnier termine son ouvrage par une série de réponses à des questions qui sont le plus souvent posées sur ces deux institutions : origine des fonds, légitimité de la Banque dans la lutte contre la corruption, lutte contre la pauvreté et énergies renouvelables, nature des conditionnalités des prêts de la BM et de leurs remboursements, différence entre un expert national et un expert international des Nations-Unies, droit d’ingérence dans un pays génocidaire…

En moins de 150 pages, l’expert international, fort de son expérience nous livre une étude de ces deux institutions qu’il connait bien pour les avoir pratiquées une grande partie de sa vie. Il nous éclaire sur leurs fonctions, leur rôle et leur importance dans un monde en perpétuel changement soumis à des menaces parfois inattendues comme la COVID-19.

Jacques Crosnier évoque de nombreux souvenirs qui viennent apporter une touche personnelle à cet ouvrage atypique, humanisant un peu le caractère plutôt austère de ces deux institutions.

Il ne s’agit pas ici d’une étude technique de plus réservée à des spécialistes, mais d’une présentation synthétique, à la portée d’un public beaucoup plus large désireux de mieux appréhender l’essence même des instances financières de Bretton Woods.