Fortunes de mer, sirènes coloniales. Économie maritime, colonies et développement ...

Recension rédigée par Jacques Frémeaux


Le propos de ce livre est d’ouvrir des perspectives sur l’aventure maritime de la France, qui fut à la fois aventure commerciale et aventure coloniale. Il se compose d’un premier chapitre introductif, qui expose le projet de l’auteur dès les premières lignes : « Comment et pourquoi la France est-elle entrée dans l’Atlantique colonial ? Peut-on comparer ses colonies de la fin du XVIIe siècle à son empire des débuts du XXe siècle ? En d’autres termes, quels liens peut-on établir entre économie maritime, colonies et développement, en France, entre le milieu du XVIIe siècle, lorsque le commerce français s’ouvre aux grands circuits atlantiques, et le moment où l’empire colonial est à son apogée ? ». C’est au long de onze chapitres, eux-mêmes distribués en trois grandes parties suivant l’ordre chronologique, que sont successivement donnés les éléments de réponse, qui s’ordonnent eux-mêmes en trois grandes parties : «  Lorsque la France s’ouvrait à l’atlantique colonial (vers 1660-1720) ; Succès et mirages du « beau XVIIIe siècle (vers 1720-1792) ; Des colonies à l’empire colonial ? (vers 1780-1914) ».

Il n’est pas possible ici de résumer sans le caricaturer un travail qui se signale par sa précision et sa concision. Olivier Grenouilleau nous fait profiter, dans une synthèse magistrale, de toute une réflexion historique, déroulée depuis ce XVIIe siècle, qui marqua le début de l’aventure coloniale de la France, poursuivie à travers toute l’époque moderne, pour atteindre, après ce que Philippe Haudrère a nommé l’Empire des Rois, l’Empire de la République. Dans cette réflexion, menée sur le temps long, il recherche inlassablement les adaptations, plus ou moins réussies, du commerce maritime et colonial français à un ensemble de conditions variées, mais toutes fortement opérantes, qu’il désigne comme les « structures politiques, économiques et mentales du moment ».

La part des acteurs est fondamentale. Aux purs aventuriers, tentés par la « fortune de mer », succèdent très vite des négociants, ce terme « que l’élite du commerce s’est attribué pour se distinguer du monde de la simple « marchandise ». Ces hommes font des choix, « en fonction de contingences, d’impératifs, mais aussi, et cela est tout aussi essentiel, de leur manière de se représenter le monde, bref, de leur culture ». Ce peut être des choix de stratégie matrimoniale ; ce sont aussi, naturellement, des choix d’investissements, dont il est montré que, toujours rationnels du point de vue des décideurs, ils ne sont pas forcément ceux qui vont placer l’économie française en tête. Ces hommes, ce sont également les émigrants, et l’ouvrage s’intéresse beaucoup à « la variable migratoire au sein des systèmes coloniaux nationaux et régionaux », cette variable migratoire qui a contribué à enraciner les colonies espagnoles et anglo-saxonnes, au contraire des colonies françaises.

La part de l’État est tout aussi importante. L’économie apparaît comme liant État et négoce dans un dialogue qui a pu favoriser l’un et l’autre, mais a également freiné l’expansion, en incitant à limiter la prise de risques. C’est là un trait constant de la période, au point que « l’on peut se demander si, globalement, l’on n’est pas progressivement passé, de l’Ancien Régime aux années 1940, d’un type de commerce réservé à un autre, de l’exclusif au repli sur le nouvel empire colonial ». Cette relative prudence n’a pas empêché les succès, mais il est vraisemblable qu’elle témoigne d’une certaine frilosité, et n’a pas permis de bien négocier les changements, faute de toujours correctement analyser les raisons profondes, notamment culturelles, des adaptations. L’observateur serait d’ailleurs en droit de se demander si la maladresse à gérer les suites de la crise des années 2008 et suivantes ne démontre pas que l’effort mené depuis les années 1990 pour libérer l’économie française n’a pas été largement en trompe-l’œil.

Au total, Olivier Grenouilleau livre ici une remarquable synthèse, dont on espère qu’elle sera largement lue et méditée, de manière à susciter moins des débats (car son dossier, nourri aux meilleures sources, françaises et étrangères, est très solide) que des prolongements. C’est vraiment un livre qui donne à réfléchir, et qui mérite plus que des compte-rendus dans les revues savantes.