Auteur | Thomas Deltombe |
Editeur | La Découverte |
Date | 2024 |
Pages | 341 |
Sujets | Mitterrand, François (1916-1996) Et l'Afrique Politique et gouvernement Afrique francophone 1945-.... Colonies françaises Afrique Impérialisme Afrique francophone 1945-.... |
Cote | 69.048 |
C'est une nouvelle facette de la personnalité, des convictions et de l'action de François Mitterrand que Thomas Deltombe dévoile dans « l'Afrique d’abord : quand François Mitterrand voulait sauver l'empire français ». Elle a trait cette fois à la défense de la présence française en Afrique.
On pensait avoir appris au fil du temps beaucoup de secrets de l'ancien chef de l'État : la dualité de sa vie familiale, son passé vichyste, ses amitiés troubles tout au long de sa vie politique. Un point de la « légende Mitterrand » n'avait jamais été remis en cause, son supposé engagement résolu en faveur de la décolonisation.
Dans cet ouvrage, l'auteur démontre méthodiquement que François Mitterrand n'était pas un fervent militant de l’anticolonialisme et de l'indépendance des colonies. Il fut plutôt durant de longues années un défenseur farouche de la présence française en Afrique. Une formule citée par Thomas Deltombe résume sa position : « la France du XXIe siècle sera africaine ou ne sera pas ». Fort de cette conviction qui rejoint ses propres intérêts - miser sur la sauvegarde de l'empire français pour se hisser au sommet du pouvoir -, le jeune politicien des années 50 devient l'un des précurseurs du néocolonialisme français.
Ce livre nous plonge dans ces années qui précèdent les indépendances et permet de dresser les portraits de certains acteurs majeurs de cette séquence. Les pages consacrées au ralliement de Félix Houphouët Boigny à la politique gouvernementale sont à cet égard savoureuses. L'auteur décrit le spectaculaire retournement d'alliance du fondateur du RDA, marqué par sa rupture avec le Parti communiste français. En quelques semaines, celui qui était considéré à Paris comme le leader d'un mouvement insurrectionnel à la solde de Moscou devient le principal allié de la France en Afrique. Une opération politique dont François Mitterrand, alors ministre de la France d'outre-mer, revendique habilement la paternité.
Au tournant des années 50, l'ambitieux ministre cherche à faire de la politique africaine sa marque de fabrique. Au point même d’envisager en 1954 un projet révolutionnaire qui consisterait à lancer la jeunesse française à la conquête de l'Afrique. Dans une interview surprenante au journal Combat, il défend cette idée, confirmant la thèse générale de l’auteur. Le futur chef de l’État ne conçoit pas la colonisation comme un temps révolu ou un projet poussiéreux mais au contraire comme une aventure toujours exaltante.
Si cette exploration dans le temps ébranle ainsi, preuves à l’appui, une facette jamais remise en question du premier président socialiste de la Ve République, celle du décolonisateur, elle éclaire également d’un jour nouveau la genèse de la Françafrique. Le chercheur décrit comment François Mitterrand place les questions subsaharienne, tunisienne et algérienne au cœur de ses stratégies politiques.
La tactique le conduit ainsi, à l'occasion des élections législatives de 1958, à s’appuyer sur le bilan africain du général de Gaulle pour se présenter comme son précurseur sur cette question et même comme son plus fidèle disciple : « l'ère de la domination est close, l'ère de l'association commence ». L'association apparait aux yeux de François Mitterrand comme le moyen de sauver ce qu’il considère comme l’essentiel : l'Empire français. De Gaulle infléchira sa doctrine, reconnaissant en septembre 1959 « le droit des Algériens à l'autodétermination » puis affirmant « rendre à la souveraineté internationale les États membres de la Communauté instaurée par la Vème République. Ainsi s'amorce le processus qui aboutit à partir de 1960 à l'indépendance des anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne.
François Mitterrand change alors de registre ; il met en exergue ses passes d'armes dans les années 50 contre les franges les plus rétrogrades du colonialisme autoritaire, afin de démontrer à l’opinion que son projet de modernisation libérale du système colonial faisait de lui un précurseur de l'anticolonialisme. Subtil glissement, nourri selon l’auteur « de confusions opportunes et d’habiles inversions chronologiques ». L’objectif est atteint. François Mitterrand se fabrique l’image d’un précurseur, d’un héros et d’un martyr de la décolonisation. Il ne cessera d’endosser ce costume jusqu'à la fin de sa vie politique.
Au-delà de la mystification et des métamorphoses de l'ancien président de la République, c'est une question plus profonde que pose l'auteur de « l'Afrique d'abord » lorsqu'il écrit : « derrière les mensonges de François Mitterrand, se cache un mensonge plus grand : celui d'un pays qui, ayant jadis concédé à ses colonies une liberté frelatée, se croit quitte de son passé colonial ». Une question au cœur des débats politiques actuels entre la France et le continent.