Auteur | Gabriel Martinez-Gros |
Editeur | Frémeaux & associés |
Date | 2024 |
Pages | 119 |
Sujets | Empire islamique Histoire Civilisation islamique 622-1258 |
Cote | 69.610 |
L’Empire islamique aura duré neuf siècles à partir de ces terres parmi les plus vieilles de l’histoire du monde, l’Égypte, la Mésopotamie, la Syrie, l’Iran. Qu’auront-elles légué à l’islam ? (p.12). C’est la dynastie omeyyade qui donne au nouvel Empire ses instruments de puissance, une monnaie, une langue, les symboles de la présence islamique avec les grandes mosquées de Médine sur le tombeau du Prophète, Al Aqsa de Jérusalem et des Omeyyades à Damas (p.50).
Mais auparavant, le fondateur de l’islam, Muhammad, rejeté par sa tribu des Quraysh attachés à leur religion traditionnelle, aura fui à Médine, 400 km au Nord de La Mecque, suivi d’une centaine de familles appelées « Muhajiroun » ou « Exilés ». Les Médinois adoptent la nouvelle religion dans leur hostilité à La Mecque et entreprennent le « jihâd », renouvelable tout au long de l’histoire de l’islam (p.33). Le cousin et gendre de Muhammad Ali aurait dû lui succéder mais le clan Quraysh s’y opposera. Ali, 4e calife sera rapidement assassiné. Mecquois et Médinois se seront coalisés pour lutter d’abord contre leurs compatriotes qui refusaient de payer l’impôt dans une guerre contre la ridda ou « apostasie » (p.36) qui se transforme en guerre civile opposant la dynastie omeyyade installée à Damas à leurs cousins alides de 656 à 661 (p.41). Entre 634 et 655 (p.15), le nouvel Empire s’était emparé d’une partie de l’Empire byzantin, miné démographiquement par les grandes pandémies, la peste et autres maladies contagieuses au VIe siècle (p.16) et avait absorbé l’ensemble de l’Empire perse et ses 12 millions d’habitants (p.15), l’Irakoù se trouvait la capitale Ctésiphon à 10 km du Bagdad actuel et la Transoxiane en Asie Centrale. Une deuxième guerre civile de 680 à 693, dans l’Irak actuelle, se terminera à Kerbela avec l’assassinat de Huseyn, petit-fils de Muhammad et la constitution du Mouvement chiite (p.48). Puis les Omeyyades vont reprendre La Mecque. En 721, leurs troupes soumettront le Maghreb et atteindront Narbonne (p.49).
Le Pr Martinez-Gros se réfère à Ibn Khaldoun pour faire comprendre le succès prodigieux de cette conquête. Les envahisseurs arabes auraient été vus par les populations, qui rechignaient à payer les impôts impériaux byzantins ou perses qui les humiliaient, comme des libérateurs. Pour prélever les impôts, il faut désarmer les populations ; une minorité détient les fonctions de violence, armée et police, confiées aux habitants des marges sauvages de l’État, les « Bédouins » pour Ibn Khaldoun. (p.26). Au premier siècle de leurs conquêtes, les Arabes ne veulent pas convertir puisqu’ils veulent conserver pour eux les privilèges de l’État (p.27).
En 717-718, la dernière grande tentative arabe de conquérir Constantinople échoue devant la résistance de la flotte byzantine (p.51). En 732, le recul devant Poitiers déclenche une gigantesque révolte berbère antifiscale de 739 à 742 (p.52). En Iran, le parti chiite qui fait allégeance à la descendance de l’Imam Husayn prend l’allure d’une guerre entre Iraniens et Arabes (p.55). La domination universelle du grec, du persan et de l’araméen s’efface au profit de langues régionales, évolution qui affaiblit les défenses culturelles et idéologiques des empires contre l’invasion arabe (p.21). C’est alors que ladynastie abbasside (750-1258) qui descend d’Ibn El Abbas, cousin germain du Prophète, choisit une nouvelle capitale au nom persan Bagdad, fondée en 762. A l’ouest, Algérie et Maroc s’indépendantisent. L’Espagne est dirigée par un prince omeyyade. L’Empire abbasside est donc fondamentalement irako-iranien (p.60). Les armées de l’islam recrutent désormais en Asie Centrale parmi des esclaves-soldats ou mamlouks en arabe (p.62) dont l’histoire se prolongera un millier d’années jusqu’aux janissaires de l’Empire Ottoman qui s’en débarrassera en 1826 (p.63). Au IXe siècle, les Arabes sont exclus de l’armée, des cadres de l’Administration, de la familiarité des Califes au profit de ces mamelouks. La progression de l’islam ne favorise pas l’autorité de l’empire car la conversion à l’islam de populations lointaines et belliqueuses introduit dans l’islam leurs particularismes locaux et ethniques. S’ils se révoltent, ils se parent de leur qualité de musulmans pour imposer leurs exigences (p.82).
La culture persane de l’époque sassanide réapparait, traduite en arabe comme le conte Kalila ou Dimna d’Ibn Al Muqaffah (p.64) en même temps que le patrimoine scientifique grec, traduit également en arabe. La dynastie des Samanides (875-1105) favorise le persan au détriment de l’arabe. Ferdosi rédige le Shahnameh, immense poème sur l’histoire légendaire persane.
Une nouvelle école philosophique, le mutazilisme, est créée dans l’espoir de transformer l’islam en religion de la raison (p.66). Ibn Hanbal, (mort en 855) fondateur du sunnisme s’y oppose, dressant les religieux et la plèbe bagdadienne contre la nouvelle interprétation coranique (p.67). Quant aux chiites, accusés de préférer leurs Imams à la Loi, ils développent un mysticisme ésotérique (p.69). Après de longs débats, le sunnisme limite la reconnaissance de l’orthodoxie à quatre Écoles juridiques, le malékisme au Maghreb, en Andalousie, en Afrique occidentale, le chaféisme en Égypte, en Afrique orientale et dans le monde malais, le hanafisme, d’origine irakienne, privilégié par les Abbassides et les Ottomans, le hanbalisme, revivifié par Ibn Taymiyya (mort en 1328) et par Ibn Abdelwahâb, matrice du salafisme contemporain (p.84). Ce qui intéresse les Arabes Sunnites, c’est la définition du religieux par les Oulémas tandis que les ethnies nouvelles issues des confins, comme les Turcs, cherchent le pouvoir et s’imposent après 1050 (p.87).
Après 860, le chiisme, vaincu à Bagdad, organise des révoltes (p.71). En Mésopotamie, la révolte des esclaves africains ou Zanj (869-883), à coloration chiite, très meurtrière, ravage la région. Le projet de mise en valeur de l’Irak méridional est abandonné (p.73). La révolte des Qarmates (895-1100) bloque les routes du pèlerinage affaiblissant l’autorité du Calife responsable du hajj (p.73). A la fin du Xe siècle, trois califats existent, l’omeyyade en Espagne, le fatimide ismaélien au Caire et à Bagdad l’abbasside (p.75).
Surgissant de l’Est, les Mongols de 1220 à 1235 puis de 1255 à 1260, pillent l’Asie Centrale, le Nord de l’Iran, annihilant Bagdad et l’Empire abbasside en 1258 (p.93). Les Mongols réapparaitront pour de nouveaux carnages 150 ans plus tard, lorsque Tamerlan infligera aux Turcs à Ankara une terrible défaite en 1402 (p.113). Les Turcs se concentreront sur la conquête des Balkans qui vont contribuer à enrichir leur Empire plusieurs siècles (p.113).
L’Inde dévastée en 1398 par Tamerlan, sera conquise par la dynastie afghane des Lodi (1451-1526) puis par la dynastie des Moghols descendants de Tamerlan (p.116). La civilisation islamique devient plus asiatisée. Le persan est la langue de la cour à Istanbul comme à Delhi. Le monde arabe ne représente plus que 20% de l’ensemble des musulmans (p.119).
Le lecteur attentif au développement actuel de la religion islamique dans le monde sera intéressé par ce retour érudit sur cet Empire islamique médiéval dans lequel la séparation entre politique et religieux était déjà analysée.
La chronologie fixant les dates de l’Empire islamique de 570 (naissance de Mohamed) à 1492, chute de Grenade, (p.9-10) est également bien utile.