Ce livre dirigé par le Pr. Nicolas Badaoui est le troisième d’une série consacrée à la diplomatie sous toutes ses formes. En 2O23, il publiait La Diplomatie économique et les affaires internationales au Moyen-Orient (L’Harmattan). En 1924 lui succédait La Diplomatie culturelle et religieuse (L’Harmattan) dont nous avions fait la recension sur ce site. Cette année est évoquée La Diplomatie de l’énergie, toujours située au Moyen-Orient mais qui implique en fait les grandes puissances du monde entier. Nicolas Badaoui a rassemblé pour cette nouvelle analyse des experts de sept nationalités ; lui-même, Ricardo Khoury et Gaby Daaboul sont libanais, Adnan Shihab El Din et Mohamed El Rumeihi koweitiens, Lina El Otman marocaine, Ridha Chkoundali tunisien, Hussain Shaban irakien, Majid Almoneef saoudien, Alain Arnaud et Antoine Warnery français.
Adnan Shihab El Din, ancien secrétaire général de l’OPEP, montre que l’énergie dans la diplomatie mondiale est plus qu’une ressource, c’est un outil géopolitique, un moteur de coopération et de conflit et une pierre angulaire de la diplomatie (p.5) ; les co-auteurs explorent les voies permettant de maintenir la résilience et l’équité face aux défis (p.6).
Pour Nicolas Badaoui, la diplomatie de l’énergie englobe la sécurisation des approvisionnements énergétiques, la navigation dans les rivalités géopolitiques et la coopération internationale sur le changement climatique et les transitions vers les énergies renouvelables (p.9). Les pays concernés doivent réduire les émissions de carbone, partager des technologies et investir dans des infrastructures énergétiques durables (p.10). Les pays riches en énergies peuvent utiliser leurs ressources pour influencer d’autres nations en investissant dans les infrastructures énergétiques d’un pays tiers et par là même renforcer leur influence sur les plans diplomatique et économique (p.149) mais cela peut aussi conduire à des conflits (p.37). C’est pourquoi il faut s’engager par des accords sur les normes de sécurité pour les infrastructures énergétiques et sur la lutte commune contre le changement climatique (p.38).
Les grandes puissances, avec leur pouvoir de modifier les régulations internationales en matière d’énergie, peuvent promouvoir leurs propres industries sur le marché mondial. Ainsi, le paysage énergétique devient de plus en plus complexe (p.152) avec le contrôle des routes d’acheminement de l’énergie (p.157) et des réseaux de pipelines. S’y ajoute le développement de l’énergie nucléaire, alternative aux combustibles fossiles (p.158) tandis que le changement climatique contribue aux conflits internes dans les pays où l’accès à l’eau et à l’électricité est devenu difficile (p.159). Avec le pétrole, le gaz naturel est devenu un acteur déterminant dans les conflits régionaux. La rivalité actuelle entre le Qatar, l’Iran, la Turquie au sujet de routes de gaz a contribué à la complexité de la guerre civile syrienne car les différentes factions se disputaient le tracé des itinéraires cruciaux (p.161), ce qui fait que le Moyen-Orient avec les détroits de Bab El Mandeb et d’Ormuz reste au centre des conflits énergétiques mondiaux (p.163). Avec Lina El Otmani, le Pr. Badaoui se penche sur les ressources énergétiques de l’Afrique du Nord qui constituent un outil diplomatique puissant pour les pays de cette région (p.65). Ainsi l’Algérie, deuxième fournisseur de gaz après la Norvège (p.69), influence les politiques européennes comme la fermeture par Alger du gazoduc qui transitait par le Maroc pour approvisionner l’Espagne.
L’Égypte est devenue également un acteur clé par ses gisements offshore de gaz naturel liquéfié (p.66) comme la Libye, bien qu’entravée par des conflits internes (p.67). En tout cas, les relations énergétiques entre l’Europe et le Nord de l’Afrique sont cruciales pour la sécurité énergétique du continent européen (p.73).
Magid Almoneef évoque la création de l’OPEC, le 14 septembre 1960 à Bagdad, sa domination sur le monde dans les années 1970 qui s’était amoindrie à la fin du siècle pour reprendre sous une autre forme en 1992 (p.19) grâce à l’adhésion à la diplomatie climatique des États du Golfe (p.13). Ce changement est souligné par les tableaux comparés des capacités de transition vers des énergies renouvelables entre États dans le monde (p.23), États du Golfe (p.28) et États de l’U.E. (p.32). Ces 30 dernières années, la demande en énergie a augmenté annuellement de 5,6% et continuera à le faire dans les décades suivantes (p.29). Le lecteur appréciera aussi la bibliographie spécifique (p.34).
Hussein Shaban estime que la diplomatie de l’énergie agit comme un pendule entre le soft power et le hard power : pendant que le hard power a dominé le complexe industriel militaire aux États-Unis, le soft power grandissait dans plusieurs pays européens et le Japon (p.50). Dans les deux cas, la diplomatie de l’énergie se confond avec les relations internationales dans le domaine de l’économie(p.51). En fait, l’acquisition de pétrole n’est pas seulement économique ou commerciale ou financière mais relève plutôt de la géostratégie puisqu’elle est liée aux garanties politiques et à la loyauté des entités de production ou de transport (p.57). La diplomatie de l’énergie repose sur des efforts diplomatiques aux niveaux national et international (p.63).
Mohamed El Rumeihi rappelle que les six États du Golfe dépendent à des degrés divers de l’exportation d’énergies fossiles, pétrole et gaz, pour soutenir leur économie (p.77). Néanmoins, ces États ont augmenté leur production d’énergies renouvelables comme l’énergie solaire (p.82). Ils doivent tenir compte du fait que les prix de l’énergie sont soumis aux fluctuations politiques dans les États producteurs comme dans les États importateurs. D’où la nécessité de développer le capital humain en mesure de faire avancer l’économie comme la société (p.84).
Ridha Chkoundali se penche sur la position stratégique du Maghreb dans les flux énergétiques mondiaux parallèlement à l’influence croissante de l’U.E. qui lie désormais les questions énergétiques aux enjeux migratoires (p.85), risquant de consolider une intégration asymétrique des pays du Maghreb avec l’U.E. (p.86). C’est que le Maghreb dispose d’un potentiel énergétique considérable mais qui paradoxalement n’a pas contribué à renforcer son intégration régionale (p.87) car l’un des premiers freins réside dans la faiblesse des échanges commerciaux intra-maghrébins (p.91), d’où la paralysie de l’Union du Maghreb Arabe (p.93). Pourtant le G3, (Tunisie, Algérie Libye) incarne un espoir pour l’intégration régionale maghrébine (p.96). La réussite de la diplomatie énergétique au Maghreb dépendra donc de la capacité des États de la région à mettre en place une stratégie commune (p.98).
Ricardo Khoury se livre à l’étude de cinq pays qu’il a jugés fiables pour avoir intégré les meilleures pratiques de la gouvernance environnementale, les États-Unis, la Norvège, l’Irlande, les Émirats Arabes Unis et le Qatar. Ces États ont été particulièrement attentifs à la composition de l’administration chargée de l’Environnement, à la législation concernant l’environnement, à l’évaluation et à la préparation envers les risques environnementaux, aux mécanismes d’assurances (p.102). Ces États ont respecté l’indépendance des Autorités de tutelle de l’Environnement, dont les principes devront être adoptées par tous les autres États (p.105).
Antoine Warnery juge que la géopolitique européenne cherche à assurer la continuité de ses approvisionnements et à améliorer ses réseaux (p.109). L’Europe a financé des projets d’interconnexion comme entre la France et l’Espagne de manière à connecter les champs éoliens avec les consommateurs, tout en tenant compte de l’environnement (p.110), de la pollution atmosphérique et du changement climatique (p.111), comme l’interdiction de construction sur le littoral français (p.112). D’autre part, l’utilisation massive de transports décarbonés utilisant des batteries offre des possibilités de stockage de l’énergie (p.115) de même que le recours récent à la production nucléaire (p.118). Cette transformation va affecter la société au-delà de l’aspect purement économique et industriel (p.121).
Gaby Daaboul met en relief les efforts du Liban pour exploiter le gaz naturel contenu dans son espace économique exclusif (p.123), ouvrir un département consacré au pétrole au ministère de l’Énergie et de l’Eau (p.126) et bâtir des infrastructures locales pour l’industrialisation des régions (p.130). La fondation d’une Compagnie nationale pour le pétrole ne pourra avoir lieu qu’après la découverte des gisements (p.136). Les premiers forages ont été conduits par Total Energies, ENI et Qatar Energy qui a remplacé Novatek (p.140).
Alain Arnaud étudie un potentiel encore sous-exploité, la biomasse, dérivée de résidus agricoles, de sous-produits forestiers et de déchets urbains verts recyclés (p.146). La biomasse favorise les projets transfrontaliers initiant des liens économiques entre les pays en permettant de baisser l’empreinte carbone locale et en réduisant les tensions géopolitiques liées aux énergies fossiles (p.148). Dans le contexte actuel, la transition vers des énergies renouvelables est devenue une priorité car elle inclut le partage de technologies innovantes contribuant à une transition énergétique réussie (p.152).
Pour M.Shihab El Din, ce livre est un appel à reconnaître l’importance de la diplomatie stratégique de l’énergie pour favoriser la coopération, gérer les conflits, construire l’avenir (p.6).
Le Pr. Badaoui estime que les ressources agissent comme levier des discussions internationales et de ce fait, elles conservent un potentiel pour la résolution des conflits (p.172).