Le labyrinthe des égarés : l’Occident et ses adversaires

Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteur décrit son livre comme « un survol rapide d’une humanité à la dérive » (p.345) dans quatre pays en particulier, Japon, Russie, Chine, États-Unis.

En juillet 1853, le Commodore américain Matthew Perry force l’entrée du port de Nagasaki et obtient un traité de commerce (p.30). En 1868, l’Empereur renverse le pouvoir des Shogun installé depuis le XIIe siècle et inaugure l’ère « Meiji », transférant la capitale de Kyoto à Tokyo (p.33). En 1895, le Japon occupe Taïwan pour un demi-siècle (p.47). En 1904, l’écrivain égyptien Mustafa Kamel publie Le Soleil Levant qui célèbre la métamorphose du Japon. (p.52). Le poète irakien Al Rasâfi consacre à la victoire des Japonais un poème épique (p.26). En 1908, « Les Jeunes Turcs » renversent le Sultan Abdülhamid en se réclamant du modèle japonais (p.61).

 En mai 1905, la flotte japonaise anéantit la flotte russe ; 5000 marins russes sont tués, 6000 autres prisonniers, 27 bâtiments sont coulés (p.18). Allié aux Anglo-Français dans la première guerre mondiale, le Japon obtient l’occupation du Shandung chinois en 1918. En 1931, il transforme la Mandchourie en État fantoche, devient une dictature militaire liée à l’Allemagne et à l’Italie. L’attaque lancée en 1941 sur la flotte américaine de Pearl Harbour déclenchera les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (p.78). Mais les États-Unis aideront le Japon à reconstituer son économie qui, en 1960, deviendra la troisième mondiale (p.83).

Massivement eurasiatique, la Russie chrétienne ne s’est jamais perçue comme occidentale comme le montre le schisme millénaire entre les Églises d’Orient et d’Occident (p.96). La faiblesse de l’Union Soviétique était son système dirigiste, centralisé, bureaucratisé (p.171). Staline meurt en 1953 et Khrouchtchev présente son rapport Sur le culte de la personnalité et ses conséquences, commentant les crimes staliniens, mais sans en autoriser la diffusion (p.143).  La création naïve du Komintern sur la base que la révolution mondiale était imminente (p.103) en est un autre exemple. Grâce aux Russes, l’armée égyptienne put accomplir la traversée du canal de Suez en octobre 1973. Mais ce sont les Américains qui obtinrent l’Accord israélo-égyptien (p.167). D’autres exemples de la perte de crédibilité du régime soviétique furent la construction du mur de Berlin en 1961 (p.148) et l’Afghanistan, qui contribua à lui faire perdre la guerre froide (p.169). Le 25 décembre 1991, M. Gorbatchev annoncera avec tristesse la fin de l’Union Soviétique (p.178).

De 1405 à 1424, la flotte chinoise de l’amiral Zheng He explore l’Inde, la Perse, l’Afrique orientale, puis l’Empereur suivant ferme le pays (p.19). L’auteur montre que l’ouvrage chinois Un récit de voyage vers l’Ouest de San Bao (fin du XVIe siècle) ressemble aux Mille et Une Nuits, comparant les noms de Sindbad et San Biao et les descriptions de l’Inde, de la Perse, de l’Arabie (p.193). Au XVIe siècle, le Jésuite italien Mateo Ricci, qui traduisit à Pékin Confucius en latin, représente la tentative la plus ambitieuse de réconcilier les grandes civilisations (p.199). En 1839, le Gouvernement détruisit à Canton 20.000 caisses d’opium avec lequel les commerçants anglais payaient les soieries. La première guerre de l’opium entreprise par l’armée britannique, puis une deuxième expédition en 1856 entraînant le sac du palais d’Été (p.213) allaient humilier la Chine pendant un siècle (p.209). Ce pays se trouvait en 1900 dans un état de délabrement avancé (p.225). La République de Chine, proclamée le 1er janvier 1912, par Sun Yat-sen met fin au règne de l’Empereur Enfant Pou Yi (p.229). Le 4 mai 1919, une manifestation d’étudiants sur la Place Tiananmen de Pékin contre le Japon va faire date. Mao Zedong, alors enseignant dans le Hunan, suit le mouvement avec ses amis (p.242). Pendant 30 ans, se succèdent des affrontements entre « seigneurs de la guerre », occupants japonais et Tchang Kaï-chek, chef du Kuomintang, dont il chasse les militants marxistes (p.246). Mao Zedong entreprend sa « longue marche » de 9.000 km d’octobre 1934 à octobre 1935. Nationalistes et Communistes unissent alors leurs forces contre les Japonais qui devront en 1945 évacuer la Chine (p.259).

 En octobre 1949, le Parti Communiste chinois dirigé par Mao Zedong proclame à Pékin la « République Populaire » tandis que Tchang Kaï-Chek se replie sur Taïwan (p.138). La gigantesque tragédie humaine causée par le « Grand Bond en avant » suscite une fronde au sein du Parti. Mao se met en retrait et nomme à la Présidence de la République Liu Shaoqi (p.280). Puis Mao revient, secondé par son épouse Jiang Qing, des étudiants « Gardes Rouges » qui procèdent à des exécutions sommaires en diffusant Le Petit Livre Rouge (p.297). Si la femme de Mao fut emprisonnée à la mort du « Grand Timonier », les dirigeants chinois ne se livrèrent pas à une démaoïsation, comparable à la déstalinisation. Deng Xiaoping, rescapé des purges maoïstes s’imposa comme le dirigeant naturel du pays (p.305). La Chine aura ainsi connu trois recommencements, en 1912 avec Sun Yat-sen, en 1949 avec Mao Zedong, en 1978 avec Deng Xiaoping (p.310). Staline avait utilisé la guerre de Corée (1950-1953) pour creuser un fossé entre la Chine et les États-Unis (p.275). La Chine œuvre à présent pour contenir les Russes. Après 1979, plus aucun « domino » asiatique n’allait tomber dans l’escarcelle de Moscou (p.163). En Chine actuelle, le discours sur l’Occident impérialiste ressemble à celui de la période maoïste ; la dérive s’accélère des deux côtés et il paraît difficile qu’elle ne débouche pas sur un affrontement colossal (p.321). 

Pour la Chine, le Japon ou l’Inde, le mythe des origines se perd dans la nuit des temps. Ce fut un atout pour les États-Unis d’être nés à une date précise sous l’égide de pères fondateurs qui voulaient recommencer leurs vies dans un pays neuf (p.327). Les États-Unis ont connu une ascension fulgurante dans les décennies qui ont suivi la guerre de Sécession (p.344). En 1870, Un Noir entre au Sénat, un autre à la Chambre des Représentants. Si cette voie avait été poursuivie, le problème racial aurait été peu à peu résorbé. Mais l’esprit de Lincoln n’a pas prévalu longtemps (p.347). Même l’élection d’Obama en 2008 n’a pas suffi à le raviver (p.352). Les promesses de Woodrow Wilson à Versailles en 1919 avaient fait rêver la terre entière (p.365). Entre 1941 et 1945, les États-Unis produisirent 280.000 avions militaires, l’Union Soviétique 120.000, l’Allemagne et la Grande Bretagne près de 88.500, le Japon 62.000 ; cet indicateur est clair et éloquent (p.376). Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis choisirent un engagement massif, le Plan Marshall en Europe, la thérapie de choc au Japon (p.370). Mais quand les États-Unis se retirèrent de Kaboul en 2021, ils avaient dépensé mille milliards de $ dont 95% pour les troupes américaines et leur armement, la part allouée au Développement n’aura représenté que 2%, vingt milliards seulement ! Mon indignation demeurera inaudible (p.394). D’autre part, la prospérité nord-américaine s’est si peu propagée en 150 ans au sud de la frontière (p.396). C’est que les États-Unis n’éprouvent pas le besoin de bâtir des institutions internationales respectées puisqu’ils peuvent imposer aux autres des règles contraignantes sans y obéir (p.401).

L’auteur conclut que la détestation systématique de l’Occident dérive généralement vers la barbarie, la régression et l’auto-punition (p.420). Ainsi, moralement indéfendable, la guerre d’Ukraine représente une stratégie hasardeuse. Au lieu de sortir la Russie de son impasse historique, elle risque de l’y enfoncer davantage. Au lieu de démontrer la fragilité de l’Ukraine, elle est en train d’assurer sa place dans l’Histoire (p.435.) L’optimisme devrait malgré tout l’emporter à condition que pour sortir du labyrinthe, nous admettions que nous nous sommes égarés (p.436).

On consultera avec intérêt la liste des livres qui ont inspiré l’auteur (p.437).