Un écrivain français entre Europe et Afrique : Louis Bertrand, 1866-1941 : actes de la journée

Recension rédigée par Josette Rivallain


Éric Georgin, professeur à l’Université Paris 2-Panthéon-Assas, avec le concours de quatorze universitaires a lu, analysé l’œuvre de Louis Bertrand, mis en valeur ses engagements littéraires, politiques et religieux. Daniel Heck, Président du Cercle des Amis de Louis Bertrand a rédigé l’avant-propos. Ce livre fait suite à la journée d’études consacrée à Louis Bertrand en 1991, publiée en 2015. Il est l’œuvre d’historiens et de spécialistes de littérature, car, dès 1947, Louis Bertrand devint un sujet d’études et de recherches, notamment autour de l’idée développée par Louis Bertrand que l’Afrique française est l’Afrique romaine, forme de résurrection d’une latinité supranationale.

Les témoignages des différents auteurs sont regroupés en deux parties : les relectures des œuvres de Louis Bertrand, puis ses engagements. En annexes sont publiées des lettres d’admirateurs de cet auteur et des notes de qualité. Après une récapitulatif synthétique de l’œuvre de Louis Bertrand et du regard que ses compatriotes lui ont jeté au cours des années qui ont suivi sa mort, Éric Georgin rappelle le regain d’intérêt des catholiques à son égard, des Pieds-noirs, et même des universitaires que Louis Bertrand qualifiait de « pets-de-loups », et pas seulement ceux de France.

 Dans la première partie, les auteurs analysent ses publications, mettant l’accent sur sa thèse et notamment sur « Flaubert l’Africain » avec ses références aux auteurs de l’Antiquité romaine, « Mademoiselle de Jessincourt » qui rappelle son attachement à la spiritualité et à sa Lorraine natale ; « Sanguis martyrum » est un roman historique antiquisant  publié dans la «Revue des Deux Mondes », rappel de la mise en parallèle de l’histoire coloniale antique et de celle qui lui était contemporaine. « Les Villes d’or », « Le Jardin de la Mort » associent son regard aux vestiges en ruine du passé.

La première partie se poursuit par le lien entre voyages de découverte du jeune Louis Bertrand une fois en Algérie et leurs influences sur sa production littéraire, tantôt voyage d’agrément, tantôt voyage à visée politique sur fond de regret que la France et la IIIème République sortent affaiblies en abandonnant les valeurs ancestrales. Homme de frontière, doté d’une vision d’un monde nationaliste et traditionnaliste, à la fois lucide et partisan.

Jacques Frémeaux dépeint l’Algérie au temps de Louis Bertrand, marquée par une révolution manquée produisant un malaise économique, marquée par des mouvements racistes, les rebelles prônant le séparatisme, puis, à son issue, la réaffirmation de liens étroits entre la France et sa colonie. Louis Bertrand place cette colonie sous le parrainage de Rome, refuse l’orientalisme et heurte les occidentaux, rattachant exclusivement l’Algérie à la romanité, et, également, heurte ainsi les musulmans.

France M. Frémeaux s’intéresse au courant littéraire algérianiste, intermédiaire entre des débuts incertains et tremplin pour des lendemains heureux sur acte de foi en une nation également en train de se bâtir sur le plan politique.

La deuxième partie est consacrée aux engagements pris par Louis Bertrand. En 1906, déjà baptisé, il se tourne vers la foi chrétienne à une époque de grand scepticisme, à la suite de lectures, notamment au contact de la religion musulmane et en lien avec son engagement politique, dont il s’explique dans ses mémoires. Il mêle la croyance dans une mission civilisatrice de la France et l’idée que le colonialisme peut-être une refonte patriotique recherchant une règle internationale et une règle morale que la Foi lui apporte. En effet, il a été un fervent patriote marqué par la cession de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, par la Grande Guerre et sa position de frontalier.

Anne Dulphy retrace l’importance de l’Espagne aux yeux de Louis Bertrand : les espagnols étaient nombreux à Alger, et Louis Bertrand souligne les liens anciens existant entre ces deux pays, enthousiasmé par la lumière qui les nimbe, rappelant que la Lorraine a longtemps été terre des Habsbourg, puis que les lorrains ont été enrôlés dans la Grand Armée, allant combattre en Espagne, renforçant, en contrepartie, son sentiment d’être méridional. Entre ces deux pays existe également un fil de latinité, le peuple espagnol lui paraissant plus authentique. A la suite de son voyage en 1906, il va progressivement s’intéresser de plus en plus à la péninsule ibérique pour ses côtés traditionnalistes.

Au cours de sa vie, les opinions nationalistes de Louis Bertrand ont bien évolué : en 1900, il écrivait que « les nationalistes sont des crétins ». En 1891, il découvrit l’Afrique à Alger à travers ses quartiers populaires, souhaitant fonder une école nouvelle associant esthétique et politique, se réclamant de Gustave Flaubert. Il est cosmopolite et individualiste, ce que retrace « Le Sang des Races ». Puis des troubles à caractère antisémite se produisent à la fin de cette décennie en Algérie et lui font revoir ses visions utopiques. Avec l’Affaire Dreyfus, les violences antisémites le scandalisent et le font basculer vers la politique, revoir ses points de vue sur le peuple algérien.

Rentré en France, il renoue avec le nationalisme, dans une approche plus sociologique que politique, se tourne vers Charles Maurras qu’il connait depuis 1891, mais continue de regarder par-delà les frontières.

A sa sortie de l’ENS, en 1888, il découvre l’Italie, et devient méridional de cœur : l’Italie est le berceau de la civilisation romaine et latine. Il y effectue plusieurs séjours dans l’entre-deux guerres, sorte de diplomate informel, s’entretient avec des responsables fascistes, craint le communisme, soutient la politique coloniale italienne en Afrique du Nord, se rend en Cyrénaïque, y visite les ruines antiques. Cela renforce son idée d’une union méditerranéenne. Puis, avec l’installation du fascisme, malgré tous ses efforts d’apaisement, la situation se dégrade. Face à l’Allemagne, persuadé que le catholicisme est fondateur de l’Europe, il s’élève contre la germanomanie et contre l’idée de la conquête de l’univers par une seule race. Louis Bertrand recherche une unité latine. Une fois Hitler au pouvoir, il fait volte-face, barrière contre le communisme, prônant une politique d’ouverture de la France envers le IIIe Reich, critiquant le projet d’un Pacte entre Paris et Moscou, incarnant la barbarie asiatique.

En 1941, il jugeait positivement l’action du régime de Vichy depuis l’armistice et s’apprêtait à en publier des écrits sur la nécessité de s’intégrer à une nouvelle France placée sous le leadership allemand.