La voie chinoise : capitalisme et empire

Recension rédigée par Hubert Loiseleur des Longchamps


      Michel Aglietta et Guo Bai ont écrit ce livre en anglais sous le double signe de l'histoire et de l'économie, pour expliquer la situation économique de la Chine contemporaine. Cette orientation souligne qu'aucune démonstration économique ou politique ne peut s'affranchir des phénomènes culturels.

Le grand tournant de la Chine a été négocié en 1978 par Deng Xiaoping deux ans après la mort de Mao. Alors que certains, notamment aux États-Unis, estimaient que le modèle américain avait valeur universelle, la Chine a introduit une réforme économique majeure, inspirée du capitalisme européen des 13e au 18e siècle décrit par Braudel, plutôt que de la théorie néoclassique traditionnelle.

Les auteurs décrivent dans leur ouvrage une coévolution des structures économiques et des institutions sociales, assurant la permanence de la souveraineté impériale existant deux mille ans plus tôt. Les dynasties Qin et Han avaient construit un empire centralisé et unifié, reproduisant certains ordres politiques et sociaux, en particulier un tissu social fondé sur la famille. Le gouvernement impérial Han et ceux qui lui ont succédé pendant deux mille ans ont régné sur un océan de communautés agraires locales, cohabitant dans un système consolidé par le confucianisme.

Mobilité de la richesse et du prestige social caractérisaient cette société dotée d'une structure sociale singulière à deux étages : la classe dirigeante et la population. Le livre veut prouver que rien n'a changé à cet égard aujourd'hui.

La Chine du 19e siècle a manqué la révolution industrielle, du fait de la fermeture de l'empire Ming, concentré sur le maintien de l'ordre intérieur et fondé sur une économie agraire, la population demeurant à 90% dans des zones exclusivement rurales. La première moitié du 20e siècle a d'abord été marquée par l'instauration de la République en 1912, puis par la lutte entre nationalistes et communistes. La période maoïste a connu une instabilité politique élevée et une industrialisation forcée conduisant aux grandes réformes de l'ère Deng Xiaoping. La réforme s'avérait indispensable car la Chine, en pleine expansion démographique, n'avait pas atteint l'autosuffisance alimentaire (la Chine en 1949, avec 550 millions d'habitants, était le pays le plus pauvre du monde, avec 30% de la population mondiale à nourrir). La logique politique de la réforme visait à dynamiser l'économie tout en soutenant le régime d'administration politique mis en place par le Parti Communiste. L'économie de marché a été introduite et encouragée dans les campagnes, à côté de la planification centrale, par l'attribution de parcelles de terre aux fermiers. Cette politique a eu un succès considérable, et s'est accompagnée d'une seconde reforme, celle des finances publiques. L'objectif était double : rééquilibrer le partage des recettes entre les gouvernements locaux et l'État, au profit de ce dernier, et, sur le plan fiscal, "prendre les gros et laisser les petits". Avec l'ouverture commerciale et l'accueil des investissements étrangers, le pays s'est modernisé progressivement en unifiant ses taux de change et en présentant sa candidature à l'OMC. Les résultats ont été très significatifs : la consommation intérieure et les investissements contribuent de manière égale à la croissance, le secteur primaire ne représente plus que 10% du PIB, les secteurs industriels et des services se partageant le solde à parts égales.

Mais il reste encore beaucoup à faire selon les auteurs : achever la réforme fiscale, libérer le secteur des services des entraves bureaucratiques, prendre en compte les objectifs environnementaux dans un développement durable, améliorer la gouvernance. Ils jugent aussi nécessaire la création d'un État providence à la Chinoise pour accompagner ces développements.

            "Tous sur le Ciel" proclamaient les anciens penseurs chinois en quête de l'harmonie universelle introuvable. La démocratie à l'occidentale ne peut pas être cet horizon mythique, selon les auteurs de l'ouvrage, pour lesquels la politique actuelle de la Chine ressemble à ce qu'elle était à l'époque de l'empire. Le Parti Communiste ne fait face à aucun défit direct, selon eux, et il aurait été capable de se renouveler, mais la Chine est réticente à reconnaître les représentations modernes de la société civile. Le pays est désormais ouvert sur l'extérieur, son intégration économique s'est effectuée en transposant les leçons apprises lors de l'expérience ruineuse des Royaumes Combattants, fondées davantage sur la diplomatie et l'autorité humaine que sur des moyens militaires ou de contrainte. C'est, désormais, la légitimité du nouveau pouvoir qui est mise à l'épreuve avec les conflits inévitables provoqués par une telle puissance nouvelle. Cette exigence d'éthique constitue le défi actuel de la Chine contemporaine.