Clientélisme et patronage dans l'Algérie contemporaine

Recension rédigée par Jean Nemo


            Bien que cet ouvrage soit déjà ancien au regard de l’actualité éditoriale, il serait dommage de ne pas en parler, nonobstant les excuses de l’auteur de la présente recension. Car il concerne, sans tabou, un objet noir (comme l’on parle d’un « trou noir »), mal connu, partant plutôt mystérieux, au moins pour bien des lecteurs français, « L’Algérie contemporaine ». En évoquant plusieurs phénomènes (« clientélisme, patronage ») susceptibles de faire comprendre les mécanismes à l’œuvre sous « l’horizon ».

            Quelques mots de présentation de l’auteur, nécessaires pour situer l’ouvrage dans un parcours académique et éditorial : maître de conférences à Sciences-Po (Paris), il est passé par la Siftung Wissenschaft und Politik (Berlin) et par l’université Paris VIII. Pour l’essentiel, sa bibliographie marque un intérêt certain pour le ou les jeux politiques, leurs implications sociales, dans le monde arabe mais prioritairement algérien.

            Dans son premier chapitre « De quoi la fabrique de la politique est-elle le nom ? », l’auteur précise une double ambition : élaborer une « ethnographie de la politique » qui permette à la fois d’éclairer les réalités de la vie politique algérienne et de construire un ou des « modèles » généralisables : « Pourquoi certaines idéologies sont-elles plus efficaces que d’autres ? Comment s’établissent les identifications politiques ? ».

            L’auteur centre son enquête d’une part sur deux régions précises, d’autre part sur la ou les relations entre les processus électoraux et leur captation par un pouvoir autoritaire et une élite corrompue et corruptrice. Comme il est dit dans la courte conclusion, l’ouvrage ambitionne de « souligner l’importance de quatre logiques structurantes : le tribalisme sans tribu, la réinvention du maraboutisme, le clientélisme et la corruption. ».

            Les titres des différentes parties sont éloquents : « Y-a-t-il des tribus dans l’urne ? – Y-a-t-il des confréries dans l’urne ? – L’argent peut-il gagner les élections ? ». Si l’on voit bien à quoi se réfère le troisième de ces titres, on est plus surpris par les deux premiers. On doit les interpréter comme suit : malgré une longue période coloniale, qui aurait dû bouleverser la société et la culture, plus qu’ailleurs dans le monde arabo-musulman, la résurgence de stratifications socio-religieuses bien antérieures à la période coloniale est en soi une question qui interroge les approches classiques de l’ethno-sociologie et de la politique.

            Cette résurgence n’est évidemment pas le retour à l’identique du passé, mais de ce passé revisité et réinterprété, d’abord par le colonisateur puis par les nouveaux pouvoirs, phénomène classique et souvent analysé, notamment dans une approche « postcoloniale ».

            Une seconde question, plus proche dans le temps, se trouve dans les modalités d’un recours systématique, au moins depuis les années 1995, à l’électorat populaire et aux élections qui, in fine, consolident l’autoritarisme et l’opacité du pouvoir politique. Ou comment une approche de la politique inspirée par un modèle démocratique extérieur est appropriée par le ou les pouvoirs dans un usage lui-même fort peu démocratique.

            L’analyse est conduite à partir de plusieurs « monographies » régionales : Adrar, commune faiblement peuplée, située à 1400 km au sud-ouest d’Alger et Tébessa, commune située entre le massif de l'Aurès et la frontière tunisienne.

            Il semble bien que l’on ne dispose malheureusement pas sur ces régions d’études antérieures approfondies, ce qui pourrait limiter l’exhaustivité de l’enquête. L’auteur justifie ainsi son choix : il s’agirait tout d’abord de rompre avec une approche qui consiste à regarder de haut et de l’extérieur ; puis de choisir deux exemples significatifs, le premier par son « culte des saints », le second par la survivance de «ses remuantes tribus » ; une troisième considération conduit à les retenir parce que représentatives de régions plus vastes ; autres éléments justifiant les choix, les réseaux de pouvoir différents dans les deux cas.

            L’auteur a effectué plusieurs séjours dans les zones retenues, il en rend compte en détail, en excellent ethnologue. On regrettera cependant l’absence ou l’insuffisance des analyses relatives par exemple aux phénomènes sociologiques récents, scolarisation, urbanisation, développement du salariat. Il n’est pas exclu d’autre part qu’il se soit imposé une certaine réserve, liée à un souci de neutralité de chercheur.

            Ces quelques remarques ne doivent pas décourager le lecteur qui souhaiterait mieux comprendre l’Algérie des profondeurs : il trouvera dans ce fort bon ouvrage matière à information et à réflexion, même si l’une des questions posées au départ, en particulier celle de construire un ou des « modèles » généralisables n’est pas épuisée. Peut-être dans un proche avenir ?