Le Caire dessiné et photographié au XIXe siècle

Recension rédigée par Henri Marchal


                Au XIXe siècle, Le Caire apparaît comme la « capitale par excellence de l’art arabe » qui par la richesse de son patrimoine monumental contribue à faire apprécier pour lui-même un art qualifié de nos jours d’islamique. Voyageurs, architectes, dessinateurs, peintres, photographes découvrent dans ses monuments des expressions architecturales et ornementales fascinantes et les mettent en images.

Directeur de recherche au CNRS, Mercedes Volait dresse un tableau remarquablement documenté de la présence du Caire dans la culture artistique du XIXe siècle. Sans chercher l’exhaustivité, elle propose une histoire raisonnée consacrée à des monuments dont beaucoup ont péri depuis, faute d’entretien. À ses côtés, 16 spécialistes éclairent et valorisent la diversité des approches de ce patrimoine cairote sous trois rubriques : Les monuments par le dessin ; De l’estampage à la photographie ; Théories et histoires de l’art islamique.

La mission Bonaparte ouvre en 1798 avec des planches gravées (approximatives) la série des illustrations consacrées au Caire qui, après les relevés de Pascal-Xavier Coste, se développe tout au long du siècle avec des savants passionnés. Méconnus et même oubliés pour certains d’entre eux comme G. Toudouze et A. Crapelet, l’ouvrage a pour objectif de les sortir de l’ombre et de leur rendre un hommage mérité pour la qualité de leur témoignage.

Parti à la recherche de l’origine orientale de l’arc brisé (sans s’y attarder en fait) à l’invitation de H. G. Knight, l’architecte allemand F. M. Hessemer cède à l’attrait de la force combinatoire du décor islamique qui tend à harmoniser les contrastes. La quête du photographe F. Frith est d’abord d’ordre spirituel. L’architecte anglais James Wild qui participe à l’expédition prussienne de Lepsius, retire de son séjour de nombreux dessins aquarellés qui vont servir à identifier des œuvres acquises par le South Kensington Museum (connu ensuite sous le nom de Victoria & Albert Museum). Après un premier voyage en compagnie de J.-L. Gérôme, le peintre néerlandais W. de Famars Testas renouvelle son aventure orientale avec Émile Prisse d’Avennes désireux de constituer un album d’images sur l’Art arabe, qui finalement devra beaucoup plus à ses propres dessins qu’à ceux de l’auteur. L’œuvre graphique du théoricien Jules Bourgoin, issu de l’École des beaux–arts, se signale par l’exactitude de ses dessins et relevés qui enrichissent son Précis de l’art arabe d’une documentation inégalée sur le patrimoine cairote. L’architecte tchèque F. Schmoranz le Jeune propose une architecture orientale définie par une interpénétration de l’héritage historique et de projets contemporains, notamment à la demande du Khédive Ismaïl soucieux d’embellir son pays et sa capitale ; il est chargé pour l’Exposition universelle de Vienne (1873) de recréer dans la section égyptienne une atmosphère orientale. Les Expositions universelles offriront ainsi une représentation architecturale de l’Égypte et notamment à Paris la copie d’une Rue du Caire reconstituée en 1889 sera souvent prise pour une vue originale : sa conception était due à un connaisseur, A. Delort de Gléon dont la collection égyptienne sera à l’origine de la section musulmane du Louvre à la fin du siècle.

Le peintre Lottin de Laval invente pour un succès fugace un procédé de moulage dit lottinoplastique destiné à reproduire des frises et des stèles. Marqué par la malchance, tant ses découvertes archéologiques que sa peinture orientaliste tombèrent de même dans l’oubli. Quelques érudits photographes méconnus, tel Girault de Prangey qui peut être considéré comme un précurseur, retiennent l’attention par le souci qu’ils portent aux détails d’architecture, de décor ou de mobilier. L’Italien Facchinelli qui travaille sur commande met ses talents avec une précision topographique au profit de la préservation des monuments du Caire. Jules Gervais-Courtellemont y participe en se spécialisant dans la pratique de l’ « Autochrome Lumière ». L’histoire de la photographie en Égypte qui a commencé avec une production d’amateurs se poursuit avec celle des ateliers commerciaux dans le dernier tiers du siècle pour servir soit un projet éditorial (Du Camp, Cammas, Teynard,…), soit un enrichissement de catalogue (Braun, Frith, Bedford, Hammerschmidt,…).

Transcrit dans des dessins, Le Caire d’Aldabert de Beaumont suggère un dépaysement oriental ; il incorpore un style de vie locale dans sa représentation d’Européens islamophiles. Médecin et amateur d’art éclairé, Émile Isambert répond aux attentes de voyageurs de plus en plus nombreux en publiant un Itinéraire descriptif de l’Orient (1861) qui sensibilise à l’art arabe authentique. En 1887, Die Baukunst des Islam,un traité d’architecture islamique (et non plus arabe), intégré dans son Handbuch der Architektur, est écrit par un architecte, non pas autrichien (comme il est souvent considéré) mais allemand, Julius Franz pasha, qui sera le premier conservateur du musée d’Art arabe. De son côté, un autre architecte, l’allemand Max Herz pasha joue pendant 25 ans par ses publications et son action (notamment pour la restauration de la Mosquée du Sultan Hassan) au sein du comité de conservation des monuments un rôle considérable dans l’évolution positive de l’histoire de l’art islamique ; il sera contraint de les interrompre à regret après son expulsion d’Égypte en 1914. En 1893, il avait dirigé la reconstitution du Caire qui était présentée à l’Exposition de Chicago.

Dans un autre domaine, en Espagne, l’architecte Amador de los Rios offre par le recours au style néo-mudéjar le moyen d’assumer le legs esthétique islamique sans renoncer à l’identité chrétienne de son pays, notamment dans le cadre du Museo Arqueologico Nacional (1867). Le parcours d’Ugo Monneret de Villard dans sa découverte de l’Oriente permet de comprendre l’histoire particulière des études sur l’art musulman en Italie.

Certes, l’immense somme de connaissances qui fut ainsi réunie sur Le Caire médiéval au XIXe siècle a vieilli, mais elle témoigne d’une proximité avec une culture dont la reconnaissance s’est affirmée en France en 2003 avec la création du Département des Arts de l’Islam, amorcée par Marthe Bernus-Taylor avec l’ouverture en 1993 d’un espace muséographique de 1200 m2 dans le cadre du Grand Louvre.