Le transport maritime à Saint-Barthélémy et Saint-Martin depuis 1930

Recension rédigée par Jean-Marie Breton



Le livre rédigé par Roger Jaffray s’insère dans une série de six d’ouvrages consacrés au transport maritime dans la zone Atlantique et des Antilles et de la Guyane, dont deux volumes, outre celui qui est présenté ici, ont déjà concerné respectivement Le transport maritime aux Antilles et en Guyane françaises (L’Harmattan, 2010), récompensé par le prix de l’Académie de Marine, et La Compagnie générale transatlantique, armateur au cabotage caraïbe (Scitep, 2011).
Saint-Barthélemy et Saint-Martin, deux « îles soeurs » au parcours historique différent, sont présentées dans ce troisième ouvrage à travers un kaléidoscope de textes, de réflexions, d’anecdotes, de documents, de cartes et de photos qui fait revivre les marins, les navires, les événements de mer au dénouement parfois tragique, et les expéditions maritimes en mer des Caraïbes, voire bien au-delà des océans Atlantique ou Pacifique.
C'est un voyage dans le temps qui est retracé, porteur de nostalgie et de contrastes, à travers un récit haut en couleurs, par la plume à la fois claire, rigoureuse et concise de celui qui fut capitaine au long cours avant de se consacrer à l’écriture pour retracer ses expériences et faire partager ses souvenirs. Ancien capitaine de marine marchande, l’auteur intègre en 1965 la direction interrégionale des affaires maritimes Antilles Guyane, à Fort-de-France, dont il prendra la tête de 1980 à 1986, avant de se retirer en Martinique où il vit actuellement. C’est en 1965 qu’il aborde à Saint-Barthélemy, mais c’est en Martinique, où sont basés la plus grande partie des marins issues des « îles du Nord » de l’archipel guadeloupéen, qu’il fait leur connaissance.
La première partie de son travail démarre en 1930, aussi loin que remontent les souvenirs des témoins cités dans le livre. Elle court jusqu’en 1970, où prend fin la navigation à voile. « Saint-Barthélemy a eu la dernière flottille de cabotage de France », souligne l’auteur. C’est l’époque des mythiques goélettes et des sloops qui apportent sur l’île les biens de consommation et exportent le sel depuis le large de Salines. Ensuite est venu le temps des vedettes pour assurer le transport entre les îles.
Au fil des pages, on parcourt l’histoire du transport maritime dans cette région du monde, on suit l’évolution de l’armement traditionnel dans les deux îles ; on partage la vie passionnante et émaillées de succès et d’aléas d’une véritable « dynastie » d’armateurs et de négociants qui ont marqué la vie maritime et l’activité commerciale de celles-ci ; on rencontre des figures de légende en même temps que de grands marins ; avant de retrouver des informations actualisées sur les armements plus récents qui desservent Saint-Barthélémy et Saint-Martin.
Roger Jaffray n’est certes ni Robert-Louis Stevenson ni Joseph Conrad - et ne prétend pas l’être ! -, mais son livre est à de nombreux égards captivant, y compris pour le lecteur avide d’horizons lointains et d’épopées exotiques qui n’est pas pour autant un féru des transports maritimes et de leur histoire. Le récit, qui n’a rien de romanesque et « colle » au contraire aux faits et à la réalité - ce qui en fait l’intérêt autant que l’originalité -, reste de bout en bout aussi précis et documenté qu’alerte et vivant. Il fourmille de documents et d’informations techniques qui, malgré son petit format (140 pages de texte illustré d’une abondante et parfois rare iconographie), font de ce livre un ouvrage de référence.
Il sera lu avec profit aussi bien par les spécialistes que par les curieux, par les amoureux de la marine marchande et de son histoire que par les amateurs éclairés de récits porteurs du parfum et des péripéties d’une époque et d’horizons apparemment éloignés mais pourtant encore très proches. Ces événements et ces « aventures », tout en façonnant au fil du temps l’identité de ces îles, ont contribué au devenir et à l’insertion dans le monde moderne, dans son économie, et même, dans une certaine mesure, dans sa « culture », de terres lointaines qui ont porté au-delà des océans, avec les suites et les conséquences que l’on appréciera, la créativité, l’inventivité, l’audace, le dynamisme et, quelque part, le « génie » de ce peuple de la mer aussi divers que multiple, aussi attachant que contrasté, peuple de marins, d’artisans de marine, d’armateurs, de négociants, et tant d’autres, oubliés ou connus, obscurs ou célèbres, dont l’énergie, la volonté, la passion et la ténacité ont bâti ce dont, aujourd’hui encore, serait-ce indirectement, nous leur sommes redevables.
Il est à porter au crédit de Roger Jaffray qu’ils ne soient pas restés dans l’anonymat d’une histoire qui, pour ne pas s’être toujours écrite avec une majuscule, n’en a pas moins été aussi humainement remarquable qu’à de nombreux égards déterminante.
Pour reprendre in fine la présentation de l’ouvrage par son éditeur, on souscrira sans réserve au constat que « fruit des longues et patientes investigations d'un archiviste consciencieux doublé d'un enquêteur talentueux, cet ouvrage est un hommage aux gens de mer, armateurs, capitaines ou marins, qui ont forgé l'histoire maritime de ces îles longtemps restées méconnues. Si certains lecteurs concernés y retrouveront les traces d'un passé encore proche, d'autres y puiseront les clés nécessaires pour comprendre le présent ».
C’est là le gage d’une lecture qui justifie et légitime de souvenirs à la fois savants et documentés dont on attendra avec intérêt la publication des prochains épisodes sinon des futures péripéties.