L'obscurantisme et les Lumières : itinéraire de l'abbé Grégoire, évêque révolutionnaire

Recension rédigée par Philippe Bonnichon


Le gallicanisme jansénisant, avec son désir d'épurer la religion en rapprochant le christianisme de ses origines a conduit à la Constitution civile du Clergé, on le savait. Que cette Constitution finisse par mener à la séparation de l'Église et de l'État, pour l'avantage de Dieu comme de César, c'est ce qui est généralement admis. L'illustration est faite par cette biographie de l'abbé Grégoire, qui recense les positions souvent tranchées qu'a suscitées sa figure, pour la postérité.
L'intérêt de ce travail est de venir nuancer ces jugements antagonistes dont il est difficile de se satisfaire quand on veut -et doit- prendre en compte le contexte d'une époque.
De Louis XVI à Louis-Philippe, l'abbé Grégoire a traversé tous les régimes de la France. Il fut curé influent dans sa province, député en vue, évêque élu puis sénateur de l'Empire. Fut-il explicitement régicide ? En janvier 1793, il était commissaire aux armées du Mont-Blanc. L'interprétation reste ouverte. En tout cas, le « tyran » une fois exécuté, Grégoire se déchaînera, verbalement, dans le sens de la majorité. Prêtre séparé de Rome, il semble avoir mené une vie personnelle digne. Très souvent, à travers les régimes qu'il traverse, ses convictions feront de lui un opposant, qui reste toujours prudent dans ses propos officiels. L'itinéraire de l'homme public est complexe, si l'homme privé fut constant.
Écrivain prolifique, à la volumineuse correspondance, il a été panthéonisé, non sans critiques de tous bords, pour le deuxième centenaire de la Révolution.
Ce fut un prêtre des Lumières, assez représentatif de cette génération du clergé de France, dans sa formation et ses aspirations. Son originalité tenait aux deux points forts qu'aura retenus de lui la postérité : sa double volonté d'émancipation des Juifs et d'abolition de l'esclavage, au nom des principes de liberté et d'égalité.
Qu'après la Shoah et aux temps de la décolonisation, le style et les accents de son époque puissent choquer par la condescendance du ton où d'aucuns liraient un « racisme » sous-jacent, il n'empêche que le judaïsme français, pendant tout le siècle qui suit la Révolution et au-delà, aura su voir en lui un libérateur ; quant à l'abolition finale de l'esclavage dont il fut un inspirateur passionné, elle suivit d'assez peu sa mort.

L'empathie que l'abbé Grégoire inspire à l'abbé Plongeron, auteur de la préface et qui l'a beaucoup étudié, comme à ses élèves, les auteurs, ne sera pas toujours et en tout partagée par tout lecteur. Mais ces auteurs donnent ici avec nuances et probité un réel travail d'historiens. Quelque scories sont à corriger : Las Casas était dominicain et non jésuite (p. 75) et Joseph II, empereur du Saint-Empire et non d'Autriche (p. 100), comme le sera plus tard son neveu, par exemple. Cependant, la qualité d'ensemble du travail permet de considérer d'un oeil neuf et intéressé ce « grand ancêtre » qui sut généralement, de 1789 à 1830, catalyser l'air du temps, sans renier en définitive ce qui, pour lui, était essentiel.
Homme des Lumières il fut ; clérical aussi, à sa manière. Le cléricalisme est- il réductible à l'obscurantisme ? Si Voltaire le dirait, la critique n'est pas interdite, au nom même des lumières de la raison.