Actualité et inactualité de la notion de

Recension rédigée par Jean Martin


Ce recueil, d'une lecture très ardue, rassemble huit contributions (regroupées en trois chapitres) présentées à une journée d'études tenue à la Sorbonne le 15 juin 2007 sur le thème du postcolonial en littérature.

Un premier chapitre est consacré à la notion de postcolonial: état de la question. Dans une contribution en forme d'avant-propos, Jean Bessière s'efforce de proposer une définition et de parvenir à une position du problème. Particulièrement intéressé par les travaux de Paul Gilroy, il étudie cette notion dans son rapport au temps et à l'histoire.

            Sous le titre, Le postcolonial, historique, brassages et apories, Chantal Zabus (Paris 13) retrace la genèse ou plutôt la gestation de la pensée et de la littérature postcoloniales en prenant pour point de départ l'année 1969 dans laquelle elle voit une année érotique par excellence. Le rôle des femmes et des homosexuels dans cette élaboration est bien mis en lumière et on lira p. 40-41 une intéressante réflexion sur l'évolution des choix du jury Nobel. Rappelons quand même que, pour reprendre l'expression de l'auteur, si en Afrique être normalien, c'est un peu comme avoir été baptisé par Bossuet, Yambo Ouologuem n'a jamais été élève de l'ENS. Il a pu suivre des cours rue d'Ulm en qualité d'auditeur libre.

Florence D'Souza (Lille 3) traite pp. 53-66, des littératures postcoloniales de l'Inde. Le pluriel n'est pas fortuit car elle considère la littérature indienne comme un puzzle fort complexe où se côtoient littérature anglophone et littérature en langues vernaculaires qu'opposent d'âpres rivalités. Certains auteurs comme Salman Rushdie et Amitav Ghosh (qui refusa le prix du Commonwealth) s'élèvent contre la notion de littérature du Commonwealth mais celle-ci est défendue par d'autres, notamment Arun Mukherjee de l'université de Vancouver. Mme D'Souza nous livre par ailleurs des notations très intéressantes sur la littérature émanant de la caste des Dalits, autrement dit des intouchables : grâce à l'active politique de scolarisation menée en leur faveur, ceux-ci ont aujourd'hui une littérature d'enfants de parias, qui a conquis une place tout à fait originale dans le paysage littéraire indien. La contribution se termine sur une dénonciation de l'élitisme souvent myope des écrivains indiens de la diaspora (Naipaul serait-il visé ?).

Le chapitre 2 est intitulé : Littérature locale, littérature monde. La contribution de Micéala Symington, de l'université de La Rochelle, (pp. 68-83) a pour titre : « The winter of our discontent : postcolonial studies, francophone studies and comparative literature ». Elle compare la critique postcoloniale anglo-saxonne et la critique francophone et en conclut que le problème essentiel, pour les études postcoloniales, est de prendre en compte la pluralité des langues dominantes (ex-coloniales) sans négliger les langues des ex-dominés (vernaculaires).

Véronica Amadessi (Paris III) a consacré sa contribution (pp. 85-103) à l'œuvre d'Abdelwahab Meddeb : étrange itinéraire que celui de l'auteur de Phantasia, de Talismano et de L'exil occidental qui nous est bien connu par les travaux de Charles Bonn. À propos de Meddeb, Albert Memmi a parlé d'une œuvre en retrait qui n'évoque en rien celle de Kateb, de Dib ou de Chraïbi. Amadessi parle pourtant à son sujet de l'écriture hétérogène et métisse des écrivains postcoloniaux. Mais ce métissage est-il leur apanage exclusif ? Opposé à la colonisation mais aussi opposé aux pouvoirs politiques issus de l'indépendance, le héros de Phantasia erre de Montparnasse à la Rue Saint-Denis en méditant sur les sources plurielles de sa culture.

Anthony Mangeon (Qu'arrive-t-il aux écrivains francophones ?) s'interroge, pp. 105-131, sur le devenir de la littérature francophone à partir des exemples d'Alain Mabanckou, d'Abdourahman Waberi et du Manifeste pour une littérature-monde en français.    

Le chapitre 3 : Au-delà de l'histoire rassemble les deux   communications de David Waterman : « Globalization and the unfinished business of the postcolonial studies » et de Joanny Moulin : « Histoire et transhistoire chez Derek Walcott et Edouard Glissant ». On remarquera que Waterman fait remonter le point de départ des études sur le postcolonial à 1979, année de la parution du livre Orientalism d'Edward Saïd, tandis que Moulin établit d'intéressants parallèles entre les œuvres de Walcott et celles de Saint John Perse (Vents et Amers) et nous fait part de notations originales sur ce que Glissant appelle la pensée archipélique.

Qu'il nous soit permis de regretter la tendance de plusieurs de ces auteurs à user d'un langage scientifique ésotérique et abscons qui n'aide pas à la compréhension de leurs travaux par les non-initiés.

Est-il sur cette planète un pays qui n'a pas été, à un moment ou à un autre de son histoire, colonisé ? La Gaule ne fut-elle pas pendant des siècles une province romaine ? Et pourquoi nos gouvernants n'ont-ils jamais songé à réclamer à la Grande Bretagne des indemnités pour les déprédations commises au cours de la guerre de Cent Ans, notamment en 1356, lors de la chevauchée du Prince Noir ?

Qu'est-ce qu'une société postcoloniale ? Une société où subsistent des mentalités et des comportements hérités des temps coloniaux. Nous en avons été témoin pour avoir enseigné sept ans dans une université africaine. Le tutoiement des domestiques ou des commerçants du marché en était le signe le plus manifeste. Il classait son auteur parmi les snobs (sin nobilitate) ou parmi les nostalgiques des temps périmés. C'était il y a plus de trente ans.

Qu'est-ce qu'une littérature postcoloniale ? Quel est l'avenir même du concept de postcolonialité ? À mesure que les indépendances s'éloignent dans le temps, accède à la notoriété une génération d'écrivains qui n'a jamais connu l'époque coloniale et l'on peut prévoir le temps où ce trop commode fourre-tout qu'est la notion de postcolonial s'estompera dans le cosmopolitisme et la mondialisation.