Les égarés : le wahhabisme est-il un contre islam ?

Auteur Jean-Michel Vernochet
Editeur SIGEST
Date 2013
Pages 166
Sujets Wahhabites Proche-Orient Idéologie Proche-Orient
Cote In-12 2374
Recension rédigée par Christian Lochon


Sur ce sujet, nous avons déjà dans ces colonnes fait la recension des ouvrages de Zidan Meriboute Islamisme Soufisme Evangélisme (Genève, Labor et Fides 2010), Fethi Benslama Soudain la Révolution (Denoël 2011), Liess Boukra Le Djihadisme( Paris, Bechari 2012), tous critiques de la conception  radicale de l’islam, le wahhabisme. Dans un ouvrage de petit format de 156 pages, Monsieur Vernochet, n’utilisant, comme il le dit, que « des sources musulmanes », nous décrit le combat politique et le large soutien financier aux milices « takfiries » (terroristes) que l’Arabie Saoudite et le Qatar, « faux amis » de l’occident, dispensent dans des pays « frères » maintenant exsangues comme la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Libye et d’autres qui vont le devenir hélas. Quant aux Wahhabites, leurs ancêtres étaient de tristes hères décrits dès 1810 par notre Consul à Bagdad, Louis Alexandre de Corancez qui publiaHistoire des Wahhabis  et en 1868 par William Palgrave, agent secret de Napoléon III, qui résida dans le Nedj qu’il décrivit dans Une année dans l’Arabie centrale (Hachette).

L’ouvrage commence par le rappel historique du wahhabisme, qui prend ses racines dans le hanbalisme (Ibn Hanbal, 780-855) puis chez Ibn Taymiyya dur contempteur des alaouites, ismaéliens, druzes et autres chiites au XIVe siècle. Un imam tribal Ibn Abdelwahhab (1703-1792) se déplace en Irak pour étudier le hanbalisme ; son alliance avec un cheikh local Ibn Saoud lui donne plus de pouvoir pour imposer une réislamisation radicale ; aujourd’hui encore, leurs descendants président aux destinées de l’Arabie Saoudite. En 1802, ils pillent les villes saintes chiites d’Irak, Kerbela et Nedjef et exterminent la population ; lorsqu’ils bloquent tout accès au Hijaz pour accomplir le pèlerinage, le gouvernement ottoman les fait punir par Mohamed Ali, gouverneur d’Égypte en 1811. En 1924, Mohamed Ibn Saoud prend La Mecque aux Hachémites, y convoque un Congrès islamique en 1926 et obtient des participants qu’ils lui confient un « rôle politique et religieux planétaire ». En février 1945, le pacte dit de « Quincy » (nom du navire sur lequel il fut signé) allait lier l’Arabie Saoudite aux États-Unis pour 60 ans et il fut renouvelé en 2005 pour la même période.

La doctrine du wahhabisme peut se conjuguer sur trois registres ; d’abord une lecture littéraliste des textes sacralisés (Coran et tous les hadiths, même ceux qui sont contestables) qui refuse l’exégèse sunnite des quatre principaux rites (« mazhab ») et pétrifie l’édifice jurisprudentiel ; puis un rejet des « mécréants » en commençant par les chrétiens et les juifs auxquels la « dhimmitude » pourtant reconnue par la tradition officielle est refusée ainsi que des musulmans impies qui pratiquent le culte des saints ou se livrent à une exégèse moderne condamnable ; enfin l’usage des fatwas radicalistes légitimant les attentats-suicides dans les marchés et les lieux publics ou désignant aux tueurs salafistes leurs victimes ; cette radicalité dans le dogme et la violence dans les actions séduisent de jeunes générations en orient et dans les quartiers exposés des grandes villes occidentales.

Ce wahhabisme s’exporte par le truchement des pétrodollars ; c’est une machine de guerre mondialiste qui diffuse un islam totalitaire, matrice de tous les mouvements salafistes comme le Tabligh, créé en Inde en 1927, les Frères musulmans en Égypte en 1929, l’Association des Ulamas d’Ibn Badis en Algérie en 1931 ou le Mouvement de la Voie Droite (Hidaya) en Bosnie en 1936. Au XXIe siècle, en Tunisie un salafiste assassine en 2013 les libéraux Chaker Belaïd puis Mohamed Brahime ; en Syrie, l’appel du Cheikh Qaradaoui à la télévision d’Al Jazirah proclamant « Il nous est obligatoire de tuer les militaires, les civils, les Ulémas du régime syrien » aboutit à l’assassinat du Cheikh populaire Ramadan Al Bouti ou à la terrible exécution filmée pour la propagande de deux camionneurs syriens alaouites arrêtés et égorgés sur un barrage routier et dont le chef du gang mangea le cœur (Poutine en a parlé lors d’une déclaration télévisée récente) ; d’autres terroristes venus de Libye ou de Tchétchénie ou du Pakistan utilisent les religieuses orthodoxes d’un couvent de Maaloula comme bouclier humain ; ces brigades internationales de « takfiris », au nom de l’islam wahhabite se livrent aux mêmes exactions en Irak, au Liban, en Afghanistan, au Daghestan, au Soudan, au Mali, au Nigeria, en Somalie, en Centrafrique ; des affidés ont commis récemment des actions semblables en France comme en Espagne et à Londres.

L’auteur consacre un chapitre au Qatar, qui fut un « sanjaq » ottoman (canton) en 1550 ; le gouverneur de la famille Al Thani devient en 1915 Cheikh du Qatar par la grâce de la Grande-Bretagne ; durant le règne du Cheikh Hamid Ibn. Khalifa Al Thani, deux coups d’État auront avorté ; il nomme l’un de ses 24 enfants, Tamim, son successeur le 25 juin 2013.Le Qatar est un État wahhabite qui possède le 3e PIB du monde après les États-Unis et la Chine ; une devanture libérale en trompe l’oeil, parrainée par Washington qui utilise Doha pour ses contacts discrets avec les Talibans, permet aux Qataris d’investir largement en France, en Grande Bretagne et en Allemagne ; mais les Libyens, les Égyptiens, les Syriens, les Libanais ont brûlé les drapeaux de ce pays dont les interventions et les subventions entretiennent la guerre civile.

À plusieurs reprises, J.M. Vernochet montre la collusion entre Riyadh, Doha et Washington qui utilisa déjà sous Eisenhower les services des Frères musulmans égyptiens pour leur réseau d’influence ; la révolution iranienne de 1979 allait renforcer l’alliance saoudo-américaine ; il en déduit que le puritanisme est compatible avec la mondialisation hyper libérale.

En révélant que l’islam politique est une idéologie, un système d’emprise sociale, un outil d’encadrement des masses, une utopie en quelque sorte, l’auteur estime que le Takfirisme, le Salafisme, le Jihadisme ne participent nullement d’un extrémisme de l’islam, mais qu’ils seraient en fait une « contre-doctrine », une hérésie mise en place pour détruire de l’intérieur l’islam. L’islamisme contre l’Islam, tel était déjà le titre du livre du courageux Juge égyptien Mohamed Saïd Al Ashmaoui en 1991. En tout cas, les foules qui soutiennent les « Printemps arabes » semblent le penser. On comprend pourquoi cette analyse des Égarés ne veut être que le reflet des penseurs contestataires arabes.