À la rencontre des Églises premières : au Liban, en Arménie, en Éthiopie et en Inde

Recension rédigée par Christian Lochon


     Dans un précédent livre consacré aux Musulmans d'Europe et chrétiens d'Orient(Paris, Arte, l'Eclat 2006), M. Jacques Debs rendait compte d'une enquête effectuée auprès de musulmans européens (depuis le XVe siècle) de Bosnie-Herzégovine (45% de la population), du Kosovo (90%), de Macédoine (30%) puis de Chrétiens de Turquie (depuis 2000 ans), Arméniens (60 000), Grecs orthodoxes (5000), Syriaques monophysites (20 000), du Liban et d'Israël.

L'auteur, libano-français, maronite atypique, fut, dans sa jeunesse étudiante, à Beyrouth, un militant naïf, reconnaît-il, pro-palestinien et communiste ; ayant obtenu une bourse d'études cinématographiques à Moscou, il y passe six ans et vient travailler à Paris. Ce cinéaste a produit de nombreux documentaires souvent primés. Ce nouvel ouvrage est le journal de voyage du réalisateur qui aura parcouru le Liban, l'Arménie, l’Éthiopie et l'Inde du Sud, pour y tourner quatre documentaires destinés à l'émission dominicale de France II, « Le Jour du Seigneur ».

M. Debs, avec une grande délicatesse, nous révèle les différentes facettes du christianisme oriental. Au Liban, le monachisme domine dans la mesure où le Patriarche fondateur du maronitisme, Jean Maroun (VIIe siècle) était un moine et que le siège du patriarcat demeurera un couvent comme celui de Qannoubine dans la Vallée de la Qadisha, au Nord Liban qui hébergea les patriarches de 1440 à 1823 ; aujourd'hui encore, les ermites jouent un rôle important auprès des Libanais qui viennent leur rendre visite pour faire bénir leurs enfants, solliciter des conseils ou simplement prier ;ainsi, dans l'ermitage de Hawka, le Père Dario, venu de Medellin en Colombie, est très sollicité. Les moines du couvent de Saint-Antoine de Kouzhaya (qui date de l'an Mille) auront, dès 1600, installé la première imprimerie dans la région où ils publiaient des livres en syriaque et en arabe. Les entretiens avec le Patriarche actuel Mar Boutros Bechara Raï, le Père Maroun Atallah, qui, chaque année, conduit un pèlerinage multi confessionnel à travers tout le Liban, l'érudite Mère Constance Helou spécialiste de l'érémitisme féminin sont des interlocuteurs exceptionnels qui nous font mieux comprendre le Liban chrétien.

L'Arménie, Jacques Debs l'avait connue en 1975 en se rendant à Moscou. Le pays est devenu indépendant et les églises et les couvents ont été rendus au culte. Quant à la culture et à la littérature arméniennes, elles n'ont jamais cessé d'être vivantes grâce à la conservation de l'alphabet national, qui, comme l'alphabet géorgien pour le pays voisin, a été le référent de l'identité arménienne dans toute la diaspora. La dispute territoriale avec l’Azerbaïdjan pour la province du Karabagh prolonge la rivalité turco-arménienne du fait du déni turc du génocide planifié par le Ministre Jeune-Turc de l'Intérieur en 1915, Talaat Pacha. Le romancier Orhan Pamuk, Prix Nobel, ayant osé écrire dans le journal allemand Tagesanzeiger le 6 février 2005 : « 30 000 Kurdes et un million d'Arméniens ont été tués et personne n'ose en parler », fut emprisonné et faillit être lynché. L'auteur rencontre le Père Grigor, Supérieur du monastère de Gandzassar, qui a combattu au Karabagh contre les Azéris ; l’Église a toujours défendu le peuple arménien en l'absence d’un État indépendant. Au Monastère de Haghpat, le cinéaste national Serguéï Paradjanov tourna Couleurs de Grenade. Chaque couvent, qui servait aussi de forteresse, a été construit avec les pierres environnantes, noires à Haghpat, ocres à Tatev. Le cinéaste enregistre aussi la psalmodie des poèmes religieux du classique Narek. Cette Église condamnée au silence durant l'ère soviétique a tous les atouts d'une renaissance esthétique.

C'est également dans un écrin montagneux que les Éthiopiens ont construit leurs couvents. Convertis par des moines syriaques, ils ont adopté le monophysisme. L'Église copte éthiopienne est restée liée à sa grande sœur égyptienne qui lui détachait un de ses évêques pour devenir Patriarche ; elle est devenue autocéphale en 1948. A Lalibela, le monarque local qui lui donna son nom, construisit un ensemble d'édifices taillés en profondeur dans le roc pour les dissimuler des envahisseurs et qui étaient censés représenter les bâtiments de Jérusalem à un moment où le blocus mamelouk empêchait les pèlerins de se rendre en Palestine. Devenue un lieu de pèlerinage, étrange aux visiteurs occidentaux, Lalibela montre ses trésors spirituels en pleine obscurité. Le couvent Debre Damo, à la frontière érythréenne, est accessible uniquement en se faisant hisser par une corde. La rudesse de la vie quotidienne des moines et de leurs jeunes disciples témoigne de la volonté de demeurer chrétien dans un milieu hostile en s’appuyant sur la vie contemplative. Mais aussi sur la charité, telle qu'elle est pratiquée par des moniales d’Addis-Abeba, qui accueillent des orphelines dans une résidence de la dernière impératrice qui l'offrit aux Sœurs. En recevant M. Debs, le Patriarche Paulos lui déclare : « Nous voulons que le pays se développe pour que la jeunesse ne soit pas jetée sur les routes de l'émigration et de l'exil ».

En Inde, l'auteur se rend d'abord à Calcutta pour voir des associations caritatives et s'incliner sur la tombe de Mère Theresa ; il gagne Koshi (Cochin) au Kerala (qui compte 20% de chrétiens), où aurait prêché Saint Thomas, qui y fut assassiné en l'an 77 ; en tout cas, des missionnaires syriaques convertirent les Keralais puisque les Portugais, à la fin du XVe siècle, les découvrirent sur la côte de Malabar chrétiens mais pas catholiques ; aujourd'hui encore les Indiens de rite syriaque non chalcédonien, au nombre de 3 millions , reconnaissent comme Patriarche S.B. Iwaz qui siège à Damas. Les Églises syro-malabare, syro-malinkare (catholique), monophysite et latine se sont entendues pour faciliter les mariages mixtes entre leurs fidèles. Jacques Debs est impressionné par l'Association chrétienne Navajeevan (« Nouvelle Vie ») qui prend en charge les handicapés dans un pays où les Hindous attribuent le handicap au karma qui sanctionne une précédente vie dans le péché. À l'hôpital Little Flower, très bien équipé, les frais d'hospitalisation d'un patient riche permettent d'accueillir six malades pauvres. L'église indienne penche pour l’œcuménisme et la solidarité au service de l'exclusion.

L'ouvrage offre des fiches techniques bien utiles sur chaque pays (pages 28, 89, 138, 180) et de très belles photos des interlocuteurs locaux et de leurs réalisations insérées entre les pages 96 et 97. Par contre, l'orthographe pérenne de l'adjectif « laïc » appliqué à une « dictature » (p. 78) et à trois emplois de « constitution » (p. 145, 148 et 184) laisse perplexe. On sera en tout cas d'accord avec l'auteur étonné de la « foi aussi heureuse » de ses interlocuteurs alors que l'islam radical menace les communautés chrétiennes en Afrique et en Asie. Cet essai roboratif décrit des femmes et des hommes qui vivent leur foi pour les autres, négligeant leurs difficultés, voire leur exposition au danger, quotidiens.