Impacts de la Covid-19 au Mali : discours, fragilités et résiliences

Recension rédigée par Philippe David


Cette étude courageuse, originale, peut-être même encore unique en Afrique sub-saharienne, déclenchée dès septembre 2020 par un appel à contribution de l’ULHSB (Université des Lettres et des Sciences Humaines) de  Bamako, a permis, avec un partenariat technique et financier français, la réunion d’un collectif national regroupant au total un “comité scientifique” de quatorze membres (dont trois “directeurs”) et trente et un “contributeurs” (avec leurs portraits), tous et toutes chercheurs universitaires maliens. Comme l’indique la quatrième de couverture, “leur apport scientifique pertinent” visait à élargir le “champ de compréhension des impacts de la (pandémie) Covid-19 au-delà de la stricte dimension médicale”. Le résultat est certain et souvent surprenant, puisqu’on a pu, inégalement mais un peu partout, décrire, après les impacts de la maladie, le déclenchement et les résultats des “stratégies de résilience” dans tous les domaines de la vie nationale, l’enseignement en tête (titre I).

             Déjà précédée par la Télévision scolaire mise en place dès 1972-73 avec la coopération française, la TV nationale (ORTM) a aussitôt resserré ses programmes éducatifs sur un télé-enseignement sans grand succès et inapplicable dans les zones privées d’électricité. Face aux perturbations infligées aux professeurs et aux élèves par les fermetures, la résilience a été très inégale entre milieux favorisés et populaires, de même entre lycées publics et privés, avec parfois grèves des enseignants.

            Dans le domaine “santé/perception sociale” (titre II), les effets pervers de la pandémie ont, comme ailleurs et dès le premier jour (26 mars 2020) exacerbé tous les autres problèmes déjà prééxistants et entraîné la détérioration rapide de tous les secteurs : hôpitaux et centres de santé désertés, internes et stagiaires inemployés, blocs opératoires fermés, programmes de visites ou de vaccination suspendus ou perturbés, méfiance-voire refus-des médicaments, vaccins et gestes-barrières. Partout, dans un pays en très forte majorité musulman, le poids de la religion ajouté aux croyances populaires en général a été considérable. La foi islamique a entraîné d’abord la résignation pour s’en remettre simplement à Dieu, en même temps que la conviction rassurante que “la Covid n’est pas pour nous”, que les Noirs sont mieux protégés, qu’il s’agit de banales “petites grippes” qui cèderont devant de simples soins coutumiers connus de tous et que les gestes-barrières sont inutiles. Cette attitude générale déjà considérable s’est combinée en outre avec la certitude très répandue d’un vaste complot visant tout à la fois : les Chinois et plus encore les Blancs exportateurs d’une maladie jusqu’alors inconnue en Afrique, l’OMS et tous les gouvernants de mèche avec les médecins et les policiers pour continuer à s’enrichir. “Difficile équation sanitaire” en effet (p.13).

            Quels qu’aient été les réticences, les doutes, les refus de la pandémie, de ses vraies causes, de sa force et de ses dangers, puis les résiliences souvent très imaginatives et efficaces, toutes les catégories de population sans exception ont donc été, à divers degrés, perturbées (titre III). Dans le vaste domaine des spectacles, les artistes, comédiens, chanteurs, danseurs, musiciens... et griots ; les libraires et les bibliothécaires ; les marchandes du grand marché “Rail da” de Bamako-III ; les cuisinières ; les personnes déplacées réfugiées à Bamako (surtout Peuls et Dogons) bouleversées par la situation politique et militaire dans le Nord, mais plutôt bénéficiaires de vaccinations après leur arrivée ; les croyants de toutes religions inégalement concernés : mosquées ouvertes mais pélerinage annuel de la Mekke suspendu, églises et temples le plus souvent fermés. Retenons enfin une malicieuse description de la “fragilité et résilience des professionnelles du sexe” (p.213) : interrogées dans toutes les six communes du grand-Bamako, ces dames ont en effet démontré, elles aussi, leur imaginative stratégie en face du couvre-feu.

            A signaler aussi, tout particulièrement, l’enrichissement lexical et sémantique de la langue bamana pour désigner la Covid-19, glané, non seulement dans les conversations courantes mais aussi sur vingt-quatre affiches et dans cinq chansons, au prix d’une “analyse discursive” très pointue mais très pédante (pp.301-325). A ce propos, comment expliquer (sur la dernière page de ce chapitre) un étrange non-découpage des mots bamana contredisant les règles pourtant fixées dans ce domaine depuis plus de cinquante ans ? Profitons-en aussi pour constater qu’au Mali, fier praticien par ailleurs de ses dix ou onze langues nationales, la francophonie et, plus encore, la francographie se portent bien. Dans cet ouvrage entièrement malien aussi original, aussi soucieux d’analyses et de révélations, on peut en effet regretter l’usage par les chercheurs d’un jargon universitaire désormais à la mode-on le sait-mais si rébarbatif ou si récent en de nombreux endroits (notamment : pp. 315-325 et 327-339) qu’il peut dissuader le lecteur de poursuivre son effort s’il n’a pas sous la main la dernière édition du petit Robert. En outre, la médiocrité des images (surtout les affiches et portraits des pp.335 et 347-358) dessert à coup sûr la renommée de l’éditeur.

Mais courage au Mali qui n’a pas fini de nous surprendre et de nous séduire.