L'état et la souveraineté dans l'ordre constitutionnel supranational : le déclin du pouvoir ...

Recension rédigée par Christian Lochon


Docteur en droit constitutionnel de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, l’avocat Maître Antoine Khaïrallah appartenait au Barreau de la capitale du Liban. Très érudit, il nous livre dans ce livre posthume ses réflexions sur l’État-Nation, la souveraineté des États dans le contexte des Nations Unies et le rôle du citoyen dans l’État.

L’État-Nation n’est plus l’acteur exclusif sur le plan international et les relations internationales ne peuvent plus être considérées comme se limitant à des relations interétatiques (p.12). Face à la mondialisation et aux immenses progrès de la science et de la technologie, le pouvoir de l’État se rétrécit de plus en plus (p.15). Cette régression du pouvoir étatique est en parallèle avec le retour et le développement des grands empires au prix de l’affaiblissement des entités nationales (p.95). D’autre part, ce qui distingue un peuple c’est sa propre civilisation et son propre patrimoine (p.162), l’ensemble des traditions ancestrales, des légendes, des croyances multiséculaires, des manières propres à la vie intellectuelle, artistique et morale, transmises de génération à génération (p.206). Mais si les valeurs humaines cessent d’inspirer une société, le progrès matériel devient une sorte de façade qui occulte l’inanité de l’existence (p.210), d’autant plus que l’essentiel de l’enseignement renvoie à la vision appauvrie de l’homo economicus très souvent étranger à la notion de responsabilité (p.156).

Étudiant la corruption dans son propre pays, l’auteur, dans un style ironique, affirme qu’au Liban, la corruption ne fait pas partie du système. Elle est le système (p.75). Les fraudes douanières et fiscales, l’occupation sans titre du domaine public maritime, le saccage de la nature, les pots de vin se font au grand jour (p.77). Si l’on prend l’exemple de la profession juridique, on s’aperçoit que « la Caisse mutualiste » des 550 juges libanais bénéficie d’une part du produit de dizaines de taxes dans plusieurs secteurs, de nombreux privilèges douaniers et d’exonérations fiscales. Leur salaire est un des plus élevés de l’Administration libanaise (p.71). Le juge libanais a choisi la docilité, le conformisme de bon ton en refoulant les cris de conscience, en ne pensant qu’à ses avantages naturels (p.75).

La Constitution française de 1958 ne distingue que 2 pouvoirs, exécutif et législatif et une simple autorité judiciaire (p.52). Le Titre VIII, articles 64 à 66, précise que le Président de la République assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature, composé de 9 juges nommés par le Président, est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire (p.53). L’auteur donne l’exemple de l’assassinat de l’ancien ministre Jean de Broglie à Paris en 1976, qui fut maquillé en assassinat crapuleux pour éviter une affaire d’État (p.61). Il en fut de même en Italie lors de l’assassinat des juges anti-mafia Falcone et Borsalino dans les années 1980 en Sicile. Quant à la « dictature de salut public qu’autorise l’article 16 de la Constitution française, bien que temporaire, elle déborde largement le domaine des libertés et produit effet dans tous les secteurs de la vie nationale » (p.137).

Les membres du Conseil de l’Europe et de la Commission sont des technocrates, non issus du suffrage universel, n’ayant aucune responsabilité vis-à-vis du peuple souverain, ni une légitimité démocratique (p.87). L’affaiblissement continu de la souveraineté des États de l’Union européenne n’est pas compensé par la naissance d’une véritable souveraineté européenne (p.89).

Reprenant la critique de Boutros Boutros Ghali contre les États-Unis qui « ne voient guère d’utilité à la diplomatie. La puissance leur suffit. Seuls les faibles comptent sur la diplomatie » (p.117), M.Khaïrallah  rappelle les arguments invoqués par les États-Unis pour mener la guerre contre l’Irak et qui se sont  avérés faux. Cette guerre avait un seul but, le pétrole.

Dans le cadre de l’ONU, la souveraineté des États, ce principe, mentionné dans l’article 2 de la Charte des Nations Unies, qui constitue le fondement des relations internationales, est contesté par Raymond Aron qui le traite d’idéologie (p.108). Les échecs de l’ONU sont imputables à l’absence d’action des grandes puissances qui détiennent les plus influents mass-media (p.116). Le conflit arabo-israélien en est la meilleure preuve (p.114). Quant au FMI, il n’accorde un prêt que s’il est agréé par une des puissances (p.113). De son côté, Jean Ziegler, chargé du droit à l’alimentation à l’ONU, constatait que « des mercenaires dévoués servent l’ordre des prédateurs au sein de l’OMC, de la Banque Mondiale, du FMI » (p.172). Malgré le fait que Transparency International, fondé en 1993, se soit attaqué à la corruption des États, il ne l’a pas encore fait pour les sociétés transcontinentales de l’armement et de la pharmacie, de l’alimentation, des agents de change (p.177).

La liberté individuelle était totalement inconnue dans la Grèce antique (p.29). Pourtant, malgré l’esclavage, l’infériorisation de la femme, l’exemple grec au Ve siècle fut le point de départ du concept démocratique qui évolua en passant par la « Grande Charte » de Jean sans Terre (1215), complétée par la « Pétition des Droits » (1628), la « Déclaration de l’indépendance des États-Unis d’Amérique » (1776), confirmée et développée dans le texte constitutionnel de 1787 (p.30). L’idéologie libérale apparut au milieu d’un mouvement religieux basé sur les doctrines de Luther et de Calvin (p.31). Hobbes développa la cristallisation du pouvoir politique qui se dissocia du pouvoir omnipotent de l’Église (p.34).

L’auteur s’interroge alors sur les garanties offertes aux citoyens par l’aménagement équilibré des pouvoirs publics, esquissé par Locke, idéalisé par Montesquieu, admirateur des institutions britanniques, et qui influença les constituants américains réunis à Philadelphie en 1787 (p.35). Pourtant, sa théorie des 3 pouvoirs « Tout serait perdu si le même homme ou le même corps exerçait les pouvoirs de faire les lois, d’exécuter les résolutions publiques et de juger » paraît inexacte à M. Khaïrallah et ne saurait être appliquée. Le Pouvoir juridictionnel n’existe pas en tant que Pouvoir dans l’État. Il n’existe en fait que deux pouvoirs, celui de faire la loi et celui de l’exécuter comme on l’a vu pour la France (p.51).

Mais aujourd’hui, la multiplication des services publics aboutit à la mise en fiche de la quasi-totalité de la population (p.139). Les banques, assurances, associations, entreprises font de même (p.140). D’autre part, la notion de respect des droits des femmes est sujette à variation. Dns les pays musulmans, la situation de la femme est nettement inférieure à celle de l’homme. Elle est dans une position d’asservissement (p.146).

L’auteur évoque enfin les menaces actuelles qui pèsent sur les États de l’extérieur comme la menace terroriste qui échappe largement au pouvoir des États car le combat est inégal et disproportionné (p.184) ou les menaces des États voyous (p.191), Libye, Cuba, Corée du Nord, Iran, Syrie. A l’intérieur, l’Internet et les nouvelles technologies ont permis d’établir des contre-pouvoirs décentralisés et fait baisser l’influence des télévisions sur l’opinion publique (p.119).

L’auteur est pessimiste dans sa conclusion puisque le monde est confronté à une situation qu’il n’a jamais connue, (p.153) qu’il ne sait pas ce qui l’attend et qu’il n’a pas de modèle pour affronter l’avenir (p.154). C’est que la mondialisation constitue un changement radical de la manière de penser et est en train de faire du capitalisme financier un pouvoir totalitaire détenu par une gigantesque société anonyme de 300 millions d’actionnaires que les pouvoirs nationaux n’ont plus les moyens de contrôler (p.155). M. Khaïrallah demeure quelque peu optimiste cependant puisque l’État conserve sa primauté sur la scène internationale en fixant en dernière instance les règles et en ratifiant ou non les traités (p.12).

On pourrait donc écouter les quelques « sages » qui suggèrent d’arrêter le progrès, de faire une pause, pour permettre à la conscience morale de réintégrer sa dimension humaine (p.159).