L'espace caféier au sud-Cameroun sous administration française (1919-1945) ...

Recension rédigée par Josette Rivallain


Emmanuel Tchoumtchoua expose ici l’organisation de l’espace caféier du Sud Cameroun, sa place dans le dispositif administratif et économique mis en place par l’ordre colonial au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec ses contreparties, liées aux changements déclenchés par la promotion de cette culture. L’argumentation se déroule en quatre parties autour du développement de l’historique de l’implantation de cette culture, l’introduction d’une politique agricole française, les conflits nés des divergences entre les intérêts des planteurs français et ceux des planteurs africains. Une fois cultivé, le café prit de plus en plus d’importance dans la vie rurale, sous gestion de l’administration coloniale qui la règlementait, favorisant ainsi l’apparition d’une aristocratie africaine du café.

L’auteur suit le cheminement de la paysannerie africaine lancée dans cette culture, contournant les règlementations, l’apparition d’un nouveau clientélisme lors de la Seconde Guerre mondiale, la nouvelle répartition des terres, bien différentes des habitudes ancestrales. Ainsi naquirent des concessions à la superficie très variable, exploitées ou non. En 1937, l’administrateur Boisson fit décider de ne plus en accorder aux Européens afin de limiter le mécontentement de la population camerounaise. Bien sûr, les entreprises coloniales mirent en place des stratégies pour contourner la loi, d’autant que les maîtres du capital étaient les colons.

La caféiculture entraîna des mutations de l’espace agricole et une demande de main d’œuvre. Ainsi, les régions très peuplées des plateaux bamiléké ne connurent pas de concessions et furent considérées comme pourvoyeuses de main-d’œuvre. La culture du café entraîna également un remodelage des régimes fonciers et de l’ordre social. Certains héritiers accaparèrent les terres et les réserves forestières pour y créer des plantations de café, déclenchant un exode des hommes vers les villes, ou bien les familles morcelèrent le patrimoine foncier entre chaque fils. Cela eut pour conséquence la réduction des droits des chefs de terre et ceux des grands dignitaires.

Les gens se tournèrent vers l’administration pour obtenir des titres de propriété, l’autorité du chef de région pouvant être difficilement mise en cause par le chef traditionnel ; ainsi, l’administration mit en place une stratégie de développement du caféier. En contrepartie cette organisation provoqua de véritables servitudes : le traitement des grains nécessitait de la main-d’œuvre en nombre. Tout d’abord, l’administration alla la chercher chez les populations spoliées de leurs terres. Elles refusèrent, déclenchant des discours simplistes à caractère raciste. Puis cela entraîna l’immigration des Bamiléké bien que, à l’époque, les déplacements fussent étroitement règlementés. Aussi, certaines régions manquèrent-elles de bras, notamment dans le Noum ; les chefs devinent un élément dans la chaîne des recrutements de main d’œuvre pour les planteurs européens. Puis l’administration créa de grandes plantations industrielles de café dotées de villages. Avec la Seconde Guerre mondiale, les sultans prirent la relève des colons partis au combat et on eut recours au travail des enfants.

Dans l’entre-deux guerres naquirent des coopérations caféières, dont le directeur était directement nommé par l’administrateur, fournissant du matériel agricole, introduisant la lutte contre les maladies des plantes et de nouveaux savoirs que les paysans s’approprièrent, ce qui renforça l’autorité coloniale. La caisse de la coopérative servait à payer les paysans mais également à renflouer les caisses de l’État. Le système permit l’encadrement de la paysannerie et le développement du clientélisme. Les conditions de travail se durcirent pour les petits producteurs locaux.

Après un démarrage laborieux, ce travail analyse clairement la mise en place d’un nouveau type de culture et de société en période coloniale, le rôle de l’administration, les réactions des populations, soulignant la précarité de la vie des paysans et les modes d’adaptation.

Le livre est illustré de vues des champs de caféiers, de réclames publicitaires, de graphiques autour des productions des cultures. Il s’achève par une riche bibliographie qui a au moins le mérite de répertorier les travaux de nombreux chercheurs camerounais auxquels il n’est pas toujours aisé d’avoir accès.